280 Casos, recteur de l'université, et le ministre des Affaires étrangères, étaient de la partie. Borodine se montra à la hauteur et fit une excellente impression sur le président et sur les autres invités de marque qui furent tout surpris de rencontrer un homme extrêmement cultivé se disant lui-même bolchévik. Il annonça que le nouveau régime russe sympathi- . sait entièrement avec le _combat des peuples latino-américains contre l'impérialisme et qu'il désirait vivement lui venir en aide de toutes les manières possibles. Dans cette intention, un bureau de l'Internationale communiste pour l'Amérique latine serait ouvert au Mexique, pourvu que Son Excellence le président de la République y consentît. Je devais être mis à · la tête du centre envisagé pour organiser la résistance à l'impérialisme américain. Carranza entrevit son rêve d'une ligne latino-américaine réalisée sous une autre forme. Il ne voulait pas laisser échapper l'occasion et pria Borodine de transmettre ses bons vœux au chef du nouveau, régime russe. De la part de Carranza, s'exprimer de la sorte pouvait n'être qu'un geste de courtoisie. Mais ces propos, tenus en la présence du ministre des Affaires étrangères et du chef du Corps législatif, pouvaient également être considérés comme une reconnaissance de facto du nouveau régime de la Russie. Au cours de conversations ultérieures, ces deux derniers personnages insinuèrent que tel en était bien le sens. Borodine sentit qu'il avait remporté une victoire diplomatique qui grandirait son prestige à Moscou. Considérant le geste de courtoisie du président lors du dîner comme un feu vert, le ministre des Affaires étrangères accorda toutes facilités à Borodine pour qu'il entre en liaison avec le bureau de l'Internationale pour l'Europe occidentale. par le truchement de la légation mexicaine aux PaysBas. Les bons offices du gouvernement mexicain lui permirent également de rentrer en contact direct avec Moscou via la Scandinavie, laquelle avait des relations diplomatiques de facto avec le nouveau gouvernement russe. Il fit état de son succès diplomatique ainsi que de l'échec de sa mission initiale, et il mentionna également que l'on faisait tout pour recouvrer ce qui .avait été perdu et qu'entre-temps les besoins les plus urgents avaient été couverts par des ressources locales inattendues. Pendant qu'il rédigeait ses rapports, que je transmettais par le canal du ministère des .Affaires étrangères mexicain, Borodine retomba dans sa réserve habituelle, laquelle frisait Biblioteca Gino Bianco • ... LE CONTRAT SOCIAL parfois la suffisance. Il ne me montrait jamais les rapports, pas plus qu'il ne les discutait avec moi. Je ne pouvais que deviner ce qu'il écrivait. Le fil d'Ariane était constitué par son humeur joyeuse et optimiste qui avait remplacé sa tris- l tesse et son découragement antérieurs. A pré- \ sent, il parlait souvent. de ses amis à Moscou et imaginait leur réaction devant ses comptes rendus : Lénine appellerait Karakhan au téléphone pour s'enquérir d'un certain M. N. Roy, de Mexico ; ou encore, il dirait un mot à Balabanova pour qu'on invite le marxiste indien à Moscou. L'idée me chàntait-elle ? C'était, naturellement, très alléchant. Mais, ·par ailleurs, j'étais tenté de rendre à Borodine la monnaie de sa pièce et le laisser dans le doute quant à l'utilité de mon· voyage à Moscou. Qu'y ferais-je donc? En restant au Mexique, je pouvais faire davantage pour la révolution. Le travail commencé devait être poursuivi. A cet égard, un bureau de l'Internationale pour l'Amérique latine serait très utile. On pouvait en faire un instrument efficace pour combattre l'impérialisme américain. J'avais persuadé le gouvernement Carranza de soutenir ce· plan et des travaux d'approche avaient déjà été faits. M'en aller à ce stade était inopportun. Je ne voulais pas être infidèle envers le pays qui m'avait offert une hospitalité aussi généreuse. La guerre étant terminée en Europe, les Américains voudraient sûrement régler leur compte avec le régime de Carranza, qui s'était mis en travers de leur volonté de dominer le Nouveau Monde par l'intermédiaire de la doctrine de Monroe. J'étais largement responsable d'avoir poussé Cartanza vers sa position actuelle. Je devais donc demeurer à ses côtés : bientôt, il aurait peut-être à lutter pour sa propre vie et pour la liberté de son pays. Jusqu'à présent, j'avais agi selon mes idées : maintenant, je pouvais continuer sous la direction de l'Internationale communi~te. Il fallait encore mettre à exécution le plan consistant à convertir le parti socialiste. A cet ég~rd, j'étais loin d'être optimiste. Il y aurait opposition. Calles, par exemple, ne compromettrait pas, en se déclarant communiste, ses chan- . ces de succéder à Carranza c~mme président de la République. Une bonrie partie de l' opposition serait désarmée si l'attitude de Carranza était rendue publique. Mais on ne pouvait pas lui demander d'aller si loin. C'eût été téméraire et aurait équivalu à un suicide. Les Américains s'étaient -accommodés d'un régime proallemand au Mexique. Mais un régime sympathique à la Russie soviétique ferait l'effet d'un
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