M.N. ROY son précieux dépôt. Sans me montrer curieux de ce dernier, je dis que s'il me donnait une idée de ses importantes responsabilités, et pourvu qu'elles ne dépassent pas· les moyens à ma disposition, je pouvais lui être de quelque secours en attendant l'arrivée des grosses ressources. Instinctivement, je sentais que c'était là une exigence de la révolution, et j'étais très heureux d'être à même de me rendre utile, si peu que ce soit. Borodine était sceptique quant à mes possibilités, mais il ne pouvait, sans m'offenser, rejeter une offre évidemment sincère. Aussi me mit-il un peu plus dans la confidence révolutionnaire. Au milieu de l'année 1918, le gouvernement de la Russie bolchéviste avait envoyé une délégation commerciale à Washington. Sur le rapport favorable de William Bullit, envoyé personnel du président Wilson, le gouvernement américain avait reconnu de facto la délégation commerciale soviétique. Depuis lors, la guerre civile avait éclaté en Russie, les puissances de !'Entente intervenant de manière active pour soutenir les ennemis de la révolution. La Russie bolchéviste était soumise au blocus de toutes parts et sa délégation commerciale à Washington, comme dans d'autres pays, était coupée de toute communication avec Moscou. Pour un temps, elle avait été entretenue grâce à l'assistance financière d'amis et sympathisants américains. Mais bientôt elle fut aux abois, dans une capitale étrangère hostile et dispendieuse. L'affligeante nouvelle atteignit Moscou. C'était une affaire de prestige. Il fallait acheminer les moyens adéquats d'entretenir la délégation, étant dqnné qu'elle était reconnue de facto par Washington. Mais comment faire? Les facilités bancaires internationales étaient refusées au nouveau régime de la Russie. Le service des courriers diplomatiques n'était pas davantage autorisé. Il ne restait que la contrebande. Borodine, qui avait passé de nombreuses années en Amérique, fut choisi pour cette aventure périlleuse. Il devait passer en fraude une grande quantité de joyaux de la Couronne. Le précieux chargement devait, bien sûr, êt.re vendu illégalement. Le produit de la vente devait servir d'abord à soulager la détresse de la délégation commerciale, le reste étant d~stiné à financer le mouvement communiste dans le Nouveau Monde. Mais le plan échoua au dernier moment ; et Borodine dut se séparer de son précieux dépôt afin de le sauver. En attendant de le récupérer, ce dont il paraissait parfaitement sûr, mais ce qui pouvait prendre un certain temps, il fallait envoyer quelques fonds aux gens en difficulté à Washington. Biblioteca Gino Bianco 277 Une fois encore, je fis taire ma curiosité et j'offris mon aide en souhaitant de finir par connaître toute l'histoire et de servir la cause de la révolution. Borodine fut agréablement surpris. De combien d'argent pouvais-je disposer? demanda-t-il de manière plutôt indiscrète pour un homme aussi cultivé et discret. Avec témérité, je le pressai de me dire la somme et l'assurai qu'elle parvien~ai t à Washington aussi vite que la poste le permettrait. Le len- · demain, 5.000 dollars furent expédiés ; un autre versement équivalent suivrait dès l'avis de réception du premier. Il n'y eut aucune anicroche dans le transfert qui fut assuré par le canal diplomatique mexicain, et en l'espace de quelques jours ma première contribution à la cause de la révolution était achevée. Depuis que les bolchéviks avaient pris 1~ pouvoir, l'or russe allait aux quatre coins du monde pour favoriser le mouvement commu-· niste. Au moins une fois, la circulation fut inversée ; le premier débours fut bientôt suivi de sommes plus importantes afin de récupérer les joyaux de la Couronne perdus par Borodine. , L'expérience initiale semblait avoir convaincu mon hôte qu'il avait eu la main heureuse en imaginant que je pouvais lui être de quelque secours dans un pays étranger. Bien que l'histoire ressemblât fort au cliché proverbial de l'homme en train de se noyer qui s'accroche à un fétu de paille, Borodine pensa que la découverte de ma personne était le fruit d'une pensée logique. Lorsque la discussion venait sur ce genre de sujets, il avait une tendance à la prétention et me faisait songer à l'égoïste de Meredith. Il ne se froissait nullement de mon sourire, épicurien qu'il était par philosophie et par goût. Cependant, la confiance en un nouvel ami l'emporta sur son caractère cachottier et le conspirateur révolutionnaire devint communicatif. Je devais connaître toute l'histoire des joyaux de la Couronne égarés afin qu'un plan puisse être dressé pour tenter de les recouvrer. A cette époque, le commissariat du peuple aux Affaires étrangères et l'Internationale communiste travaillaient en étroite collaboration. Le commissaire adjoint aux Affaires étrangères, G. Karakhan, et le secrétaire de l'Internationale, Angelica Balabanova, étaient tous deux de vieux amis de Borodine. Ils choisirent Borodine pour leur mission secrète au Nouveau Monde. Elle consistait à introduire en fraude des joyaux d'une valeur d'environ un million de roubles (quelque 500.000 dollars au cours de l'époque). Les pierres précieuses étaient
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