M.N.!.,ROY passée avec M. Brantwein, je n'en savais moimême pas davantage sur l'objet de sa visite, ils se sentirent manifestement tenus en dehors du seèret. Je me hâtai de les rassurer en leur affirmant que, quel que puisse être le nouveau venu, nous étions de vieux amis. Peut-être par suite d'une rancœur inconsciente, leur crédulité révolutionnaire semblait céder le pas à une attitude critique envers le caractère exclusif du visiteur. Le prolétaire-né qu'était Irwin fit remarquer que le type était un peu trop bourgeois pour être un bolchévik; en tout cas, il avait un air qui ne lui revenait pas . . Les images pittoresques de notre poète prolétarien nous rendirent à tous la bonne humeur. Bref, l'homme était là et semblait compter sur notre aide et notre amitié. A moins qu'il soit prouvé de façon certaine qu'on ne pouvait lui faire confiance, il ne nous était pas possible de le laisser tomber. Après tout, peut-être étaitil dans une situation dangereuse qui le contraignait à prendre un excès de précautions. Il aurait, en effet, passé un mauvais quart d'heure si l'on avait appris qu'un émissaire de la Russie soviétique se trouvait dans le pays, chargé d'une mission secrète. Flattés d'avoir été mis dans la confidence, nous devions attendre patiemment qu'il abatte ses cartes. En attendant, il fallait garder le secret pour ne pas le mettre en péril. Cette remarque, je la fis pour la gouverne de ce bavard de Charlie, qui aurait certainement beaucoup de mal à tenir sa langue. Comment pourrait-il résister à faire pour le moins quelques vagues allusions à certains amis, en les adjurant, bien sûr, de ne pas souffler mot aux autres ? Il protesta et s'engagea à observer le secret le plus rigoureux. Considérant qu'il fallait le récompenser pour avoir promis de se bien conduire et également pour ne pas susciter la moindre jalousie, je proposai que Charlie et Irwin fassent un saut, le soir même, vers les 9 heures, pour manger un morceau avec notre hôte. Cela me donnerait deux heures en tête à tête avec ce dernier et me permettrait de soutirer quelques renseignements plus précis. M. Brantwein ne vint qu'à la nuit tombée, quoique la précaution ait été sans objet, les rues tranquilles du quartier résidentiel de Colonia Roma étant éclairées comme en plein jour. Les habitudes de la clandestinité cultivées pendant une longue période portaient à exagérer les choses, ainsi que je le savais par expérience. S'étant visiblement rendu compte que la précaution était inutile, M. Brantwein avait tenu à en prendre une autre. Je montais la garde à la fenêtre du salon. A peine le taxi Biblioteca Gino Bianco • 273 avait-il freiné qu'un homme drapé dans un long manteau, le chapeau baissé sur les yeux, bondit et entra en courant dans la petite cour. J'étais à l'entrée avant qu'il ne sonne. En se débarrassant de son manteau, M. Brantwein fit cette remarque : « Quel coin perdu ... Impossible de venir ici sans se faire remarquer. » Je le rassurai : il n'y avait aucune crainte à avoir; quiconque fréquentait la maison était assuré de la meilleure protection possible. C'était à mon tour d'être mystérieux et mon compagnon de clandestinité ne laissa rien paraître de sa curiosité. J'avais remarqué que la course n'avait pas été réglée et je demandai à M. Brantwein s'il avait l'intention de faire attendre le taxi. Ce n'était pas le cas : il pensait simplement qu'il n'aurait pas été sage de se montrer sous la vive lumière électrique en train de compter sa monnaie. Cela me dérangerait-il d'envoyer quelqu'un pour payer l'homme ? Je sonnai Maria et lui demandai de faire le nécessaire. Ayant vu par la fenêtre qu'elle adressait quelques mots aigres-doux au chauffeur, M. Brantwein dit qu'elle ne devrait pas attirer un attroupement en flirtant en public. Je lui expliquai qu'elle faisait des remontrances au chauffeur qui réclamait plus que son dû. Le taxi démarra en pétaradant et je priai le visiteur de faire comme chez lui dans la maison « de Sa Seigneurie », ainsi que le veut la formule hypocrite de l'hospitalité espagnole. La réponse ne le céda en rien quant au cynisme : « Alors vous ne croyez pas à ces mensonges conventionnels de la civilisation moderne ? » Dès les premières minutes de notre deuxième rencontre, je ressentis une plus grande affinité avec le mystérieux étranger. Il ne s'était pas assis : debout au milieu de la pièce, il l'inspectait d'un regard approbateur voilé sous une apparence de critique. Il tenait encore sa canne à la main, ce qui me navrait comme n'étant pas de bon ton pour un homme comme lui. Il me porta encore plus sur les nerfs en montrant de la canne un sofa tapissé de satin vert qu'il déclara ne pas être tout à fait digne d'un intérieur prolétarien. Je ne cherchai guère à atténuer la vivacité de ma réplique : « Qui vous a dit qu'il s'agissait d'un intérieur prolétarien ? » En fait, ceci était la résidence d'un homme connu pour être le conseiller officieux du président de la République. Le censeur ironique reçut la nouvelle avec une admiration non déguisée : ainsi, j'étais cela aussi, en plus de ma qualité de secrétaire général du parti socialiste ? Eh bien, c'était tout à l'honneur d'un jeune hon1me dans un pays étranger. r
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