Le Contrat Social - anno X - n. 5 - set.-ott. 1966

270 DURANT le dernier mois de l'année 1918, - des nouvelles sensationnelles ne cessaient de franchir l'Atlantique. Les Empires centraux avaient perdu la guerre. En Allemagne, une révolution avait renversé le Kaiser, lequel s'était enfui à l'étranger. La défaite avait désagrégé l'armée allemande. La monarchie des Habsbourg, plusieurs fois séculaire, était tombée en même temps que nombre d'autres vieilles dynasties qui avaient continué de régner dans les Etats de l'Empire allemand même après Bismarck. L'événement le plus important était la révolution allemande. Bientôt, les communistes, qui se donnaient alors le nom de spartakistes, tenteront de s'emparer du pouvoir et d'instaurer une République soviétique fondée sur la dictature du prolétariat et calquée sur le modèle russe. Tous les partis, depuis les monarchistes jusqu'aux social-démocrates, s'étaient unis contre les communistes. Tout ce que les social-démocrates désiraient, c'était que la révolution substitue à la monarchie une république démocratique. Les communistes étaient trop faibles pour réussir tout seqls et la Russie n'était pas en mesure de les aider. Si la révolution était allée plus loin, les armées alliées victorieuses seraient intervenues, comme elles le firent en Hongrie. Les leaders spartakistes - Rosa Luxembourg et Karl Liebknecht - avaient été massacrés par des officiers prussiens et des insurrections locales avaient été noyées dans le sang également par des détachements de l'armée vaincue. La révolution communiste avait tenu un peu plus longtemps à Munich, mais elle avait fini elle aussi par succomber, les paysans bavarois catholiques ayant refusé de nourrir la ville. S'inspirant de l'exemple russe, les pionniers du . . , . mouvement communiste avaient essaye, pratiquement dans toutes les capitales de l'Europe centrale .et orientale, de rééditer ce qui s'était passé à Pétrograd durant les « dix jours qui ébranlèrent le monde ». A Budapest, une République soviétique fut effectivement instaurée ; mais elle ne devait pas tarder, elle aussi, à être renversée. Dans les premiers mois de 1919, la tempête révolutionnaire se calma, laissant l'Europe centrale, épuisée par quatre années de guerre, panser ses blessures dans la paix. En Allemagne et en Autriche, les fiers régimes impériaux avaient été remplacés par des républiques dotées d'un président et d'un gouvernement social-démocrates. Une Assemblée constituante se réunit à Weimar pour élaborer la loi fondamentale de la République allemande, qui devait être le modèle des constitutions démocratiques Biblioteca Gino Bjanco /' I LE CONTRAT SOCIAL f après cette guerre faite pour mettre fin à toutes les guerres. La Constitution de Weimar était effectivement le chef-d'œuvre de la jurisprudence libérale et de la pensée socialiste. Mais il ne suffisait pas de consolider la République. L'expérience prouva que la lettre de la loi ne pouvait ni reconstruire la société ni révolutionner la mentalité nationale. La république social-démocrate fut incapable d'entamer le pouvoir des magnats de l'industrie ; quant à la caste militaire prussienne, quoique privée pour le moment d'une armée à commander, elle demeura intacte. Ces deux remparts de l'ordre ancien jouissaient de l'appui et de la connivence des puissances de !'Entente, qui voyaient en eux l'unique garantie contre toute révolution. La Conférence de la paix à Versailles découpa, dans les Empires germaniques déchus, un chapelet de nouveaux Etats nationaux depuis la Baltique jusqu'à la mer Noire, afin de constituer un « cordon sanitaire » entre l'Europe et la Russie bolchéviste. Au commencement de l'été, une ride du reflux de la révolution en Europe parvint jus-· qu'aux eaux stagnantes du Mexique. Un aprèsmidi, Charlie et Irwin firent irruption et interrompirent ma sieste. Ils étaient dans tous leurs états : un leader bolchéviste russe était arrivé en secret à Mexico, un vrai bolchévik en chair et en os, qui arrivait tout droit du pays de la révolution prolétarienne. Quoique moi-même assez troublé par la nouvelle, devant leur enthousiasme naïf je ne pus me retenir de leur demander en manière de plaisanterie : comment l'avaient-ils reconnu ? Etait-ce un homme barbu au couteau entre les dents ? Ils ne rele- 'J vèrent pas la plaisanterie. Non, il était rasé de près, vêtu d'un costume qui sortait de chez le bon faiseur et avait une canne à la main. Le plus sérieusement du monde, je leur demandai comment ils avaient su que c'était un bolchévik russe, et pourquoi il avait fait tout ce .chemin. ·jusqu'à Mexico. En moi, le terroriste était mis en éveil : toute personne étrangère doit être soupçonnée. Il pouvait s'agir d'un espion impérialiste britannique ou américain essayant de gagner notre confiance à l'aide d'un conte à dormir debout. · Mon attitude méfiante calma quelque peu l'enthousiasme des porteurs de la grande nouvelle. Ils, s'étaient sans doute attendu à me voir sauter au plafond et danser la carmagnole autour du lit, et -ils étaient tout prêts à en faire autant. ·Cependant, j'étais moi-même curieux de savoir. Aussi leur demandai-je de s'asseoir et de raconter l'histoire de leur ren-

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