268 naïvetés verbeuses, y compris les enfantillages de la conspiration, mais cela fait partie d~ narrateur, du milieu et de l'époque. Ce n'était pas un bolshevik leader ni un friend of Lenin qui venait d'arriver à Mexico, mais un mode~te militant choisi par Léon Karakhan et Angehca Balabanova parce qu'il avait vécu aux EtatsUnis et en raison de sa connaissance de la langue anglaise. Les <cjoyaux de la Couronne >>relevaient de l'imagination des journalistes ~t de la curiosité des badauds : toutes les pierres précieuses qui sortaient de Russie en ces années troubles passaient pour diamants de la Couronne, celles que transportait Borodine comme beaucoup d'autres (les bolchéviks avaient _socialisé les banques, saisi le contenu des coffres, confisqué qual},tité de bijoux de tous côté~, constitué un important trésor de guerre ou ils puisaient pour munir leurs émissaires à l'étranger de valeurs négociables et fa ciles à dissimuler). L'histoire des valises truffées de pierres précieuses est incontestablement authentique, abstraction faite de la <<Couronne >>L. es idées de Roy sur le marxisme apparaissent des plus primaires, ce qui n'empêchera nullement le nationaliste révolutionnaire hindou de s'entendre bientôt avec Lénine et de s'ériger en leader du communisme asiatique. La façon dont le parti socialiste mexicain s'est mué en parti communiste en dit long sur le niveau doctrinal du <<premier 'parti communiste hors de l'Europe>> et sur d'autres sections de la IIIe Internationale improvisées de même. On retrouve la trace_ de Borodine. e!1Espagne où, le 28 décembre 1919, il participe à une conférence socialiste qui a suscité en France une controverse au sujet de laquelle il remit deux mois plus tard au signataire de cet avantpropos une déclaration (publiée dans le Bulletin communiste, n° 3, du 1er avril 1920) dans !es circonstances suivantes. Après le congrès socialiste français de Strasbourg réuni du 25 au 29 février 1920, Fernand Loriot et moi, en compagnie de Lorenzo Vanini, un des émissaires de la IIIe Internationale en France (il s'agit d'un communiste de naissance bulgare, Minev, qui sera connu désormais sous les pseudonymes de Chavaroche, de Lébédev, de Stépanov), nous . rendîmes illégalell},~nt _à Berlin où l'organisation secrète que d1ngea1t <<Thomas >>,le fondé de pouvoirs . du. Comint~rn, prenait en charge les clandestins (nous étions sans passeports, sans monnaie allemande e~ ne savions pas la langue du. pays). La capitale de l'Allemagne vaincue, épuisée, était misérable et sinistre. l'atmosphère lourde et inquiétante, le rationnement dérisoire et rigoureux (nous n'avions pas de tickets de pain), les rues presqùe sans véhicules (faute de pneus) et la chasse aux spartakistes se faisait encore sentir. On nous cantonna dans un logement minuscule qu'habitait la femme d' A. Albrecht, autre émissaire de Moscou en France (qui fut à Paris le h~ros d'un esclandre, celui des <<chèques Zalevsk1 >>). Là entassés la nuit dans deux petites chambres, se ' retrouvèrent les trois pèlerins venus de Strasbourg avec Voya Vouyovitch, militant actif des Jeunesses communistes, · avec un Anglais et avec Borodine qui était en route pour Moscou après avoir fait halte à Amsterdam pour prendre part à des réunions d!1 Bur~a~ occidental de l'Internationale communiste. A1ns1 - Biblioteca Gino Bi-anco LE CONTRAT SOCIAL commencent mes relations avec Borodine, qui me confia la déclaration (une réplique au Populaire), que je devais publier ~ mon _ret_our en France. De son côté, Roy . s achem1na1t vers Moscou, délégué . au deuxième ~o'.!1grès du Comintern qui allait s'assembler en Juillet 1920. La connaissance de l'anglais devait in~ uer d'une manière décisive sur le sort de Borodine. Envoyé en Grande-Bretagne où !es grèves !1ela Clyde semblaient aux bolchéviks des signes avant-coureurs de révolution, il fut a!rêté _à Glasgow en août 1922 et condamné à six mois de hard labour d'où il revint en triste état physique. J'eus alors à Moscou maintes occasions de frayer avec lui, car il venait souvent frapper à ma porte à l'hôtel Luxe, pour faire la conversation (l' aÙemand et le français étaient les .langues les plus courantes au Comintern; rares, du moins en ce temps, les délégués étr~ngers qui parlaient l'anglais ou le russe). Borodine se morfondait alors dans l'attente d'une nouvelle mission et se demandait non sans anxiété quelle serait sa prochaine destination. , II !De disait : « Vous comprenez, en tant qu ~nc1en menchévik, je n'ai aucu~e ch~nce d'av!>1r ma place ici. Mais que vont-Ils faire de moi? >>En vérité à cette date, je ne <<comprenais» pas encor; très bien. Pourquoi dans cet immense pays en plein effort de redressement, de reconstruction, de prog~ès social, et dont les diri~eants déploraient ouvertement le <<manque d hommes>>, un Borodine n'aurait-il pas place selon ses capacités? Mais je devais beaucoup apprendre et tout « comprendre >>plus tard, et c'est ce qu'il faut ici expliquer aux profanes. Borodine avait été membre du Bund dans sa jeunesse et, entre les deux révolutions, plus ou moins menchévik, étant entendu que cette étiquette ne signifiait e~ réalité pas gra~dchose dans une période ou. l_estendance~ S?Cialistes n'étaient pas définitivement déhmitées ni solidifiées. Pour les bolchéviks, cependant, le curriculum vitre gardait grande importance et le fait d'avoir jadis appartenu à une nuance menchéviste figurait dû.ment au dossier comme motif éventuel de suspicion, pesant injustement sur la carrière de l'intéressé. Plus spécialement, l'ancienne appartenance au Bund restait c_o~me une tare ineffaçable aux yeux des léninistes invétérés parmi lesquels, pourtant, nombreux étaient ceux qui avaient oscillé ou vacillé d'un côté ou de l'autre avant Octobre, et même après. Afin d'illustrer ce qui précède, citons ce qu'écrivait Trotski à propos d'un certai!1 Pétrovski, <<bundiste-menchévik, type améncain de la plus mauvaise espèce >>. Il -rapporte, de Michel Frounzé, cette appréciation péj orative : « De Pétrovski se dégage une épouvantable odeur de bundisme. ». L'expression hostile que contresigne Trotski· en dit long sur l'aversion que ressentaient, à . l' ég_ard d'hom1!1es co!llme Borodine, les bolchéviks endurcis qui se croyaient d'essence supérieure. Et Trotski, luimême ·bolchévik de date récente, rappelle dans son commentaire que <<lors de la première épuration du Parti, Lénine recommanda de rejeter 99 % des anciens menchéviks »2 • Or, 2. • Qui dirige aujourd•hw l'Internationale communiste? 1, dans le recueil : L•Internationale communiste apm Lénine, Paris 1930.
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