Le Contrat Social - anno X - n. 5 - set.-ott. 1966

B. RADITSA. faisant cette déclaration, Mijatovitch laissait entendre que les rapports entre Rankovitch et Moscou étaient des plus intimes. Rankovitch lui-même n'avait-il pas déclaré, lors d'un séjour dans la capitale soviétique, que le parti yougoslave demeurait fidèle aux idéaux de Lénine et au leadership de Moscou ? Ce qui avait permis à la radio albanaise d'affirmer ces derniers temps que l'avènement de Rankovitch se préparait déjà. Contrairement à Tito qui semble, en l'occurrence, avoir gardé un calme de marbre sans faire le moindre commentaire, cer- . tains membres du Comité central n'avaient pas mâché leurs mots. Dernièrement, Kadar, à la veille du quatrième plénum, avait demandé à Tito, au nom des dirigeants soviétiques, de ne pas se défaire de Rankovitch. L'éviction de Rankovitch est d'une très grande importance politique, et la suppression des principaux organes de sa police, qui a suivi le dernier plénum, montre à quelle puissance était. parvenue la Sécurité d'Etat : aucune réforme n'était possible tant qu'il faisait la loi. Les condottieri locaux tenaient en main les affaires de l'Etat tout entier. Entre autres, le service secret possédait six navires battant pavillon panaméen qui sillonnaient les océans pour vendre des cigarettes afin de remplir ses caisses. « Grâce à ce genre d'opérations )>, rapportait le Times de Londres du 6 août dernier, « des groupes appartenant à la police secrète furent en mesure -d'ouvrir divers chantiers et de s'immiscer ainsi dans la politiq~e d'investissement, en ne tenant aucun com?te des règles formulées par le gouvernement ni des efforts de ce dernier pour restreindre les dépenses non indispensables. » A Novi-Sad, capitale de la Voïvodine, « des fonctionnaires de la police secrète ont également employé des détenus pour construire des maisons de weekend, passant outre à l'interdiction, formulée il y a six mois, d'utiliser la main-d'œuvre pénale à des fins privées ». De la même manière, plusieurs villas furent bâties sur la côte de l'Adriatique, réservées exclusivement au personnel de la police secrète. L'épuration de cette police, dont le détail le· plus sensationnel est l'arrestation des geôliers du camp de Goli-Otok où des milliers de personnes furent torturées et liquidées durant ces dernières années, se poursuit maintenant par l'élimination des << directeurs politiques » et gérants d'usines. Or cette épuration ne donne pas entière satisfaction : Bakaritch, dans un discours prononcé à Sisak quelques jours après le quatrième plénum, révélait une Biblioteca Gino Bianco 26S fois de plus que la réforme économique ne progressait que lentement. Autre preuve de cette lenteur, les encouragements du gouvernement à expédier à l'étranger des travailleurs dont le nombre atteint déjà les 300 .000. D'un bout à l'autre du pays, les gens demandent quand la réforme va enfin commencer à porter ses fruits. Les réponses restent des plus vagues. Une autre question est présente à tous les esprits : quand les capitaux étrangers vont-ils arriver ? Entre-temps, l'infatigable Bakaritch, chien de garde de la réforme, demande instamment la convocation d'une session extraordinaire du Congrès du Parti pour le début de l'automne ou l'hiver. Dans une interview donnée à l'organe du Parti, Borba, et publiée le 15 août, Bakaritch explique que le congrès devra s'atteler à la réorganisation de la Ligue des communistes, à l'autogestion des conseils ou- .vriers et enfin au problème fondamental : la dictature du prolétariat. En d'autres termes, Bakaritch réclame une refonte totale du système telle que la préconisait Milovan Djilas avant son arrestation. C'était également ce pour quoi militait le groupe Praxis il y a cinq ans, avec l'approbation tacite de Bakaritch. Mais ce dernier aura-t-il assez de poids pour faire pas- ~er dans la réalité ce que formulent les jeunes théoriciens de l' « humanisme socialiste » ? Autre aspect vital du drame de Brioni, une fois de plus, la succession de Tito. La question était à l'arrière-plan de tous les débats. Elle est encore, à 'l'heure présente, dans l'esprit de tous les dirigeants et des membres du Parti, aussi bien que dans l'esprit du vulgum pecus. Avant son « déboulonnage », il était admis que Rankovitch serait le successeur. Aujourd'hui, la compétition est largement ouverte. Après le Croate Tito, il serait normal que le successeur soit un Serbe, d'autant plus que l'élimination de Rankovitch a été ressentie en Serbie avec beaucoup d'appréhension, le pouvoir se déplaçant de Belgrade vers la Croatie et la Slovénie. En l'occurrence, il n'y aurait que deux Serbes à pouvoir prétendre à la succession : Kotcha Popovitch, actuellement premier vice-président du gouvernement fédéral, et Mijalko Todorovitch, chargé de l'appareil du Parti. Le premier sera certainement rejeté en raison de son passé cosmopolite et digne d'un play-boy : avoir été un « communiste de salon » n'est guère une caution pour le poste de dirigeant suprême. Ainsi, à moins que l'aile serbe du Parti ne se décide pour un nouveau candidat, c'est Todorovitch qui aurait les meilleures chances. De toute façon, Milentije Popovitch, dont les vues sont plus proches de ,

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