Le Contrat Social - anno X - n. 5 - set.-ott. 1966

264 mination de Rankovitch et de son appareil. Le ·meilleur moment pour épurer radicalement la p~lice secrète eût été, sel<?nlui, l'~nnée 1962. Rien ne fut cependant fait, car Tito,. en bon réaliste doutait que le régime puisse survivre a~x mains des « libéraux » conduits par Bakaritch, sans la prés~nce d'une. forte police. . Les considération~ ..idéologiques ne durent pas peser bien lourd dans son e~prit quand il se décida en ce sens, car depuis de nom- 'breuses années il donnait son approbation a1,1x mesures de sécurité prises par Rankovitch ... Sur ces entrefaites; il devint · évident que Rankovitch et ses proches collaborateurs marchaient à grands pas vers la _prise du pouvoi~. Dans l'entourage de Rankovitch; on entendait fréquemment dire que Tito était vi~ux,, malade, voire sénile, et que le. temps.. etait venu pour Rankovitch de prendre l'Etat en charge: La théorie de Rankovitch, selon lequel le Parti · ne pouvait survivre ·qu'en écrasant l'optosition révisionniste et « libérale » tout enuere, se faisait entendre de plus en plus haut. Les vieux communistes, en particulier à Belgrade, étaie~t prêts à jouer cartes sur table. La « soekamisation » de Tito avait commencé ·au VIIIe Congrès du Parti, tenu à Belgrade en 1964 ; l'opposition de Bakaritch avait ét~. réduite. au silence. Cela plus que tout avait convaincu Tito qu'il lui faudrait, tôt ou ~ard, agir pour ne pas subir le sort de ses amis Soekarno et Khrouchtchev. Kardelj et Bakaritch surent sans aucun doute le décider en faisant valoir que la réforme était complètement paralysée. Partout Rankovitch et ses hommes mettaient des bâto'ns dans les roues à ladite réforme, en prétendant qu'il fallait la temett~e à plus t~rd dans l'intérêt même de l'Etat. Finalement, Tito se rendit compte qu'il· pouvait se tirer d' aff~ir~ et sauver l'Etat du même coup en se ralliant aux « libéraux » et aux « fédéralistes » contre les « centralistes » de Belgrade et les « conservateurs ». Et soudain, il fit montre de la détermination qui avait été la sienne au cour~ d'une autre crise lors de sa rupture avec Staline, en 1948. Mai~, cette fois, les choses étaient encore plus difficiles, car Rankovitch tènait en main la Sécurité d'Etat. Jusque-là, toutes les tent~- tives pour modifier le statut de cette organisation étaierit demeurées vaines. Le fait fut reconnu au quatrième plénum par le président de la Commission de contrôle, le Macédonien Krste Crvenkovski, lequel, avec d'autres membres du Comité central, avait été incapable de se débarrasser de Rankovitch et de sa clique. C'est sans doute la raison essentielle pour· laquelle il fut décidé de réunir le Comité cenBiblioteca Gino Bianco .. LE CONTRAT. SOCIAL tral à Brioni où Tito disposait de sa garde personnelle c~mposée exclusivement de ses fidèles Croates. Pour lui, Tito avait également l'armée commandée par le Croate Ivan· Gosnjak lequel avait déjà remplacé la garnison de Belgrade par des Slovènes. Comme l'arm_ée, la marine était du côté de Tito, et elle gardait l'île de Brioni pendant la réunion.- Sur l'îl~, R~- 'kovitch était seul et inoffensif. Ce qui explique pourquoi il se laissa convaincre par Tito et quelques-uns de ses amis, notamment Milentije Popovitch, de reconnaître ses erre~s et de prendre sur lui la « responsabilité mor~le et politique » du fonctionnement de la police secrète. Cet aveu fut sincère et empreint d'humilité au point que son principal collaboratell:r, Stefanovitch, en fut stupéfié et tenta en vam de sauver la mise à son patron. · L'étonnement m·anifesté par Stefanovitch lui valut d'être sévèrement condamné par Tito : frappé d'une disgrâce totale, il fut chassé du Parti. La toute-puissance· du service secret fut ·finalement dénoncée· dans sa pleine monstruosité·, tous les grands dirigeants étaient soumis à .. sa surveillance, · y compris Tito, dont les conversations téléphoniq~es étaient écoutées ; quant aux « libéraux » et autres révisionnistes, ils étaient repérés un à un et catalogués pour être écartés tôt ou tard des postes de respon- .sabilité. La police secrète av~it la haute main dans toutes les républiques, particulièrement en Croatie, où elle opérait indépendamment du pouvoir politique. Seule la Slovénie était, dans une certaine mesure, immunisée. La police secrète surveillait toute la vie politique et éconoraique du pays. Elle avait à sa disposition la myice. Parmi le personnel des Affaires é1:rangères, quelque 80 % étaient liés à Rankovitch, y compris une poignée d'ambassadeurs, à défaut de leurs -plus proches collaborateurs. C'est ainsi que l'année dernière, la révocation de Kotcha Popovitch, ministre des Affaires étrangères, ·avait été manigancée par la police secrète. Celle-ci était en contact étroit avec le gouvernement soviétique, lequel voyait d'un bon œil la montée de Rankovitch. Slobodan Sakota, adjoint de Stefanovitch •aujourd'hui débarqué, avait déclaré à Moscou, en présence des autorités soviétiques, que Tito, malade et sénile, devait être retiré de la circulation et que R·ankovitch devait, tôt ou tard, prendre la sucèes&ion.Cette révélation fut faite devant le Comité ·central par le Bosniaque Cvijetin Mijatovitch, alors ambassadeur de Yougoslavie: à Moscou ; .·à l'époque, il avait informé son ministre, Kotcha Popovitch, mais son télégramme· chiffré n'était jamais parvenu à celui-ci. Eri . .

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