Le Contrat Social - anno X - n. 5 - set.-ott. 1966

B. RADITSA jeunes professeurs marxistes les plus en vue de l'université de Zagreb. Pour l'un d'entre eux, Rudi Supek, la présente crise yougoslave prend racine dans la dichotomie entre « positivisme stalinien » et « humanisme socialiste ». Supek reproche aux « positivistes staliniens » de tuer la « pensée marxiste créatrice » dans le Parti. « On ne peut attendre, poursuit Supek, de gens qui viennent à· peine de se dépouiller de leurs guenilles et ont acheté des limousines, et qui adorent par-dessus tout le confort matériel, qu'ils saisissent l'essence humaniste du marxisme. » Ces parvenus idéologiques conçoivent la révolution socialiste comme une « locomotive de l'histoire » grondant sur la voie « qui les a menés à des positions de pouvoir auxquelles ils ne renonceront pas » : Ces gens-là n'ont pas été capables de soumettre les échecs de la société bourgeoise à une critique sensée, et en même temps ils ont provoqué une révolte . à l'intérieur de la société socialiste. Ils ont rendu la société socialiste - par exemple, l'Union soviétique -. insuffisamment attirante pour les hommes amoureux de la liberté. Ces dogmatiques ont vraiment créé les conditions objectives d'une critique anticommuniste de la première expérience socialiste. Selon Supek, c'est une tragédie pour le marxisme que des gens ignorants et sans éducation, qui n'ont que méfiance pour la science, l'art et la culture, aient accédé au pouvoir dans les pays communistes. Ces gens idolâtrent les « sages dirigeants » qui, une fois au pouvoir, imposent un système de « censure d'hygiène mentale ». Ces conditions ont fait douter, dans les prétendues sociétés socialistes, que la révolution finisse par conduire à un ordre meilleur, plus simplement humain. ,,*.,,. Au TROISIÈME PLÉNUM, Tito a condamné ce genre de théories : Nous avons le devoir de combattre les déviations conceptuelles dans notre presse, telles, par exemple, celles qui se manifestent dans la revue Praxis. Souvent, par suite de notre manque de vigilance, des articles paraissent qui n'ont rien de commun avec notre pensée. Faisant écho à la voix de son maître, Milentije Popovitch, l'un des idéologues les plus en vue parmi les Serbes staliniens, s'en est pris à Praxis, coupable, à ses yeux, de prôner des « idées pseudo-libérales », de contester le rôle dirigeant du Parti et de chercher à transformer ce dernier en un « simple club de discussion ». Dans l'esprit de Popovitch, maintenant plus que jamais le rôle du Parti est de faire marcher l'Etat. Or, malgré l'animosité des sommités du Parti, Praxis continue de paraître. Dans l'un Biblioteca Gino Bianco ,263 des derniers numéros, Supek écrivait, sous le titre : « Le mystère du silence », que le Parti devait jeter par-dessus bord le « positivisme stalinien » et adopter une attitude marxiste plus créatrice. A mesure qu'il s'achemine vers la fin de son règne, Tito aura de plus en plus de mal à concilier les diverses fractions. Ce travail de conciliation a été le seul résultat positif des trois premières sessions du Comité central. Après avoir menacé d'épurer l'opposition, Tito s'était contenté d'adresser un nouvel avertissement à ceux qui, « dans les plus hautes sphères du Parti », s'emploient à saboter la politique de ce dernier; il avait fait adopter une résolution, prise à l'unanimité, qui souligne la nécessité de l'unité et incite à _entreprendre pour de bon la réforme économique. Mais, en fait, rien n'a été résolu. Toutes les contradictions qui sont à l'origine de la crise demeurent : elles rendent nécessaire une nouvelle réunion du Comité central, ainsi qu'une réforme politique. A l'arrière-plan se profile la question la plus grave de toutes : la succession de Tito. ,,*.,,. L ES GRAVES DÉCISIONS prises pendant la quatrième session du Comité central, tenue à Brioni le 1er juillet dernier, ont apporté la confirmation que la crise complexe ouverte par la question de la réforme - retardée par le malaise à l'intérieur du Parti et les heurts entre nationalités - n'avait pas été résolue lors des trois précédentes sessions. Certes, la décision la plus spectaculaire est l'élimination d'Alexandre Rankovitch, lequel coiffait, depuis l'établissement du régime communiste, la Sécurité intérieure et extérieure de l'Etat, d'abord sous la forme de l'Ozna, puis de l'Oudba. Personnage le plus puissant après Tito, Rankovitch s'est vu accusé d'avoir concentré un pouvoir tel que Tito lui-même, suivant ses propres dires, était surveillé par les hommes de Rankovitch, plus précisément par le bras droit de ce dernier, le ministre fédéral de l'Intérieur, Svetislav Stefanovitch. Au Comité central, Tito déclara que la Sécurité d'Etat (maintenant dénommée S.U.P.) était devenue puissante au point de réduire l'Etat et la Ligue des communistes au rang d'instruments secondaires. Attaché depuis longtemps par des liens personnels au sinistre « camarade Marko », Tito a rendu hommage à son ami tout en étant contraint de le relever de ses fonctions, car « les amis passent après le peuple, l'Etat et le Parti ». Tito a également reconnu qu'il avait eu tort de retarder pendant si longtemps l'éli- ,

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