Le Contrat Social - anno X - n. 5 - set.-ott. 1966

262 partis paysan et catholique de Croatie et de Slovénie combattaient le gouvernement royaliste serbe. ,,*.,,. IL EN RÉSULTE que la Ligue des communistes yougoslaves est en crise. Pendant longtemps, Tito et ses camarades ont essayé de chasser le spectre en niant tout simplement son existence. Mais en 1964 le conflit des nationalités avait pris des proportions telles qu'il devint la principale préoccupation du VIIIe Congrès du Parti. Là, Tito dut admettre avec un air d'enterrement que la politique « de fraternité et d'unité » avait essuyé un cuisant échec, et il a condamné les efforts faits par les Serbes pour imposer « l'intégralisme yougoslave ». Les dirigeants ont ordonné à maintes reprises au Parti de respecter la personnalité historique et culturelle des diverses nations qui composent la Yougoslavie. Le Parti s'est vu ensuite inviter à rallier les nationalités autour de l'Etat communiste, sous le nouveau slogan du « patriotisme socialiste ». Mais quelques mois seulement après le VIIIe Congrès, au printemps de 1965, Tito reconnaissait, dans un discours prononcé à Varazdin, que le conflit des nationalités avait empiré au point de menacer l'existence même de la Yougoslavie. Il déplorait que le·« nationalisme bourgeois » ait réussi à s'insinuer dans le Parti et dans l'appareil d'Etat. Au fond, Tito ne faisait que répéter ce que Bakaritch avait déclaré dans une interview publiée par l'hebdomadaire de Belgrade Nin, du 8 mars 1964, à la veille du VIIIe Congrès. Bakaritch soutenait que les communistes n'avaient résolu qu'en théorie le problème des nationalités, alors que, dans la pratique, ils avaient ·cherché à imposer « l'intégralisme yougoslave », tout comme le roi Alexandre et son premier ministre, le général Petar Jivkovitch, l'avaient fait pendant la malheureuse dictature royale des années 1929-34. Selon Bakari~ch, le centralisme avait complètement supplanté le fédéralisme national proclamé par la Constitution. De manière prophétique, dès 1.94 5, Djilas avait prévu cette évolution tragique et critiqué l'attitude du Parti devant le ·problème des nationalités. Djilas sentait que _leParti éta~t en train d'exploiter ce_problème pour maintenir sa domination sur les nations yougoslaves en querelle ouverte, mais qu'il ne leur permettait pas de cultiver leur personnalité. Plus tard, Djilas osa dire que le P.· C. yougoslave était Bibli-otecaGino B~anco. LE CONTRAT SOCIAL incapable de résoudre le conflit des nationalités. , parce qu'il était essentiellement un parti stalinien, persuadé que tous les problèmes pouvaient être tranchés d'en haut et par des méthodes policières. Bien que Djilas ait été expulsé ·de la direction du Parti pour hérésie en 1954 et qu'il soit encore enfermé dans la prison de Sremska Mitrovica, ses idées sur la question des nationalités ont été reprises par Tito lui-même au dernier congrès du P-arti, et plus récemm~nt aux réunions du Comité central tenues en février et en mars. Tito a adjuré le Parti de combattre « les accès nationalistes et le chauvinisme » non par des « interventions administratives », en d'autres termes des répressions policières, mais par une nouvelle « lutte idéologique ». Mais lorsque plusieurs centaines d'étudiants et d'ouvriers croates imprimèrent des tracts antigouvernementaux et les firent pleuvoir sur Zagreb du haut d'un grand bâtiment du centre de la ville, le. gouvernement « intervint administrativement ». La police cueillit quatre cents suspects, les passa à tabac et enferma bon nombre d'entre· eux dans les camps de concentration de Goli et de Sveti Grgur dans l'Adriatique. Le désenchantement des· intellectuels par suite de l'incapacité du régime à résoudre le problème des nationalités s'exprime jusque dans les écrits des idéologues marxistes. L'écrivain serbe Dobrica Cosic ·a accusé ses camarades croates et slovènes de glorifier leur propre culture et histoire nationales au détriment du commun héritage yougoslave. L'au- .teur slovène V. Vidmar a riposté en accusant les Serbes de vouloir faire disparaître la langue slo~ne. Et récemment, les écrivains croates ont quitté l'Association des_ écrivains yougoslaves pour fonder leur propre association. . Les Slovènes sont particulièrement amers sur ce .qu'ils considèrent comme étant, de la part de Belgrade, une exploitation systématique de leur république : ils font valoir que; avec seulement 8,6 % de la population du pays, la Slovénie paie 38 % des impôts fédéraux, alors qu'elle n'a pratiquement bénéficié d'aucun· investissement fédéral pour construire son industrie. Le réveil du conflit des nationalités, le chômage croissant (lequel est censé ne pas exister dans, un Etat socialiste), et d'autres échecs du système, ont forcé les théoriciens marxistes à reconsidérer sans ménagements la validité de leurs professions de foi idéologiques. Cette remise en. question du marxisme est entreprise par la revue Praxis, publiée par les

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