Le Contrat Social - anno X - n. 4 - lug.-ago. 1966

240 Lénine croyait que cette omn1sc1ence du centre était une condition nécessaire pour le · succès de la révolution. En fait, ce plan - qui présuppose un bon fichier - n'a reçu un début d'exécution que quatre ans après la prise du pouvoir. Il a fallu attendre le mois de septembre 1921 pour la mise en place d'un système complet de rapports informant en détail le centre sur l'activité des organismes inférieurs : plus ou moins superflu en ce qui concerne le succès de la révolution, ce système indispensable pour toute manipulation efficace des troupes n'est devenu nécessaire qu'à partir du moment où l'on· commença à faire la chasse aux hérétiques à l'intérieur du parti. Lorsque Staline a mis la main sur le fichier_ du -parti, l'orchestre bolchéviste s'est p~u à peu habitué à jouer à l'unisson, mais il est pour le moins improbable que Lénine y eût entendu la musique des sphères ... Il n'en est pas moins vrai que seul un appareil hiérarchisé de secrétaires et de « permanents » pouvait rendre possible le monolithisme que réclamait Lénine quand il disait qu'il faut au parti des révolutionnaires professionnels 90 % d'unanimité. La bureaucratie, qu'il était convenu jusqu'alors de considérer comme un mal nécessaire, s'élève, chez Lénine, à la hauteur d'un principe : Le bureaucratisme, par opposition au démocratisme, c'est le centralisme par opposition à !'autonomisme ; c'est· également le principe d'organisation de la socialdémocratie révolutionnaire par opposition au principe d'organisation des opportunistes. Ces derniers vont de la base au sommet et par conséquent ils défendent partout où il est possible, et dans la mesure du possible, !'autonomisme, le démocratisme allant jusqu'à l'anarchisme. Les révolutionnaires descendent par contre du sommet à la base, préconisant l'extension des droits et des pleins pouvoirs du centre par rapport aux parties (Un pas en avant, deux pas en arrière, p. 397). Il est ~vident que pareille structure organisationnelle serait impossible . sans une foi absolue et fanatique en la valeur des_fins poursuivies. De là l'importance capitale de l'unité doctrinale dans la conception léniniste du parti. De là aussi le sens de plus en plus eschatologique donné à la Révolution, ainsi que le gonflement artificiel de la doctrine en une Weltanschauung totale et définitive. Pourtant, aussi efficace qu'elle soit, l'autosatisfaction « idéologique » ne suffit pas à assurer la cohésion d'un groupe qui renonce d'emblée aux libertés traditionnellement attachées au concept même du politique. Il fallait aussi des 'compensations psychiques. BibliotecaGino Bian.co -, 1 . . DÉBATS ET RECHERCHES << Disèipline prolétarienne» DÈs 1902. à la liberté d'opinion et au prin~ cipe d'électivité, Lénine opposait la _confiance réciproque, l'esprit de fraternité d'armes et de camaraderie exaltée qui devaient régner dans le groupe des révolutionnaires professionnels. Déjà, dans le Catéchisme de BakouninèNetchaïev, nous lisons (paragraphe 9) : .« Il est superflu de parler de solidarité entre révolutionnaires ; en elle réside toute la force de l'œuvre révolutionnaire. » Lénine sera beaucoup plus précis : Le seul principe sérieux en matière d'organisation, pour les militants de notre mouvement, doit· être : secret rigoÜreux, choix rigoureux des membres, préparation de révolutionnaires professionnels. Ces qualités étant réunies, nous aurons quelque chose de plus que le « démocratisme » : une entière confiance fraternelle entre révolutionnaires (V, 492). Lénine ne pouvait prévoir que les révolutionnaires qu'il avait si «· rigoureusement » · « choisis » et << préparés » pousseraient la « confiance fraternelle » dans leurs rapports réciproques pour régler leurs divergences d'opinions jusqu'à s'entre-tuer, piétiner et déshonorer les victimes. Mais, ces avatars de la « confiance » mis à part, Lénine aurait dû savoir qu'une telle dépréciation du « démocratisme », jugé humain, trop humain, par rapport à l'ivresse que. procure l'union solennelle à l'intérieur d'un groupe compact, «. entouré d'ennemis de toutes parts et marchant presque constamment sous leur feu » (V, 361 ), risquait de vider le parti de sa substance politique et d'étendre à la cité tout entière le principe des sociétés paramilitaires où le Zusamm_enmarschieren tient lieu de pensée. Dès 1910, dans son ouvrage classique sur les partis politiques, Robert Michels avait noté l' « étroite ressemblance » qui existait entre le langage de la social-démocratie allemande et le jargon mili- . taire. Que dirait-il aujourd'hui où l'on commence à peine à se déshabituer des expressions telles que le « front de la biologie » ou le « front de la musique » ? · Selon Lénine, la mentalité autoritaire, pro- _ prement caporaliste, qui rendit possible ces vocables aussi barbares q'u'absurdes, correspond à la nature même de la classe ouvrière. A l'en croire, celle-ci n'aspire qu'à retrouver à l'intérieur du parti les mêmes conditions de. discipline fonctionnelle et d'irresponsabilité personnelle qui règnent dans les usines. Après avoir, dans Que faire-?, exalté les « intellectuels bourgeois », détenteurs exclusifs de la « science prolétarienne >>:, et abaissé systématiquement les ouvriers .« _abrutis par le capita-

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