Le Contrat Social - anno X - n. 4 - lug.-ago. 1966

Documents LA CONFÉRENCE DE IALTA, 1945 LES ALLUSIONS ET LES RÉFÉRENCES directes à « Ialta >>c, 'est-à-dire à la conférence des trois « puissances dirigeantes >>tenue dans cette ville en février 1945 et désignée à l'époque comme <c<onférence de Crimée>>, se font de plus en plus fréquentes en France, même quasi quotidiennes, et obtiennent le maximum de retentissement par les échos qu'en répercutent la radio officielle et la presse à grand tirage. Après. vingt ans de silence et d'ignorance, le public étonné apprend qu'à Ialta eut lieu le <<partage du monde >>sous l'empire d'une <<double hégémonie >>,ce dont presque personne ne s'était encore aperçu. « Partage du monde >>et <<double hégémonie >> sont les deux principaux leitmotive ressassés pour <<mettre en condition >>l'opinion publique d'abord déconcertée, mais qui ne demande pas mieux que de changer d'ennemi héréditaire. Une campagne télécommandée est en cours, qui tend à mettre en accusation exclusivement les États-Unis d'Amérique et à innocenter implicitement l'Union soviétique comme si, dans le <<partage du monde >>dont la France aurait été victime, la <<double hégémonie >>se ramenait en fin de compte à une seule. Dans la querelle qui prend une ampleur extraordinaire et va sans doute se prolonger jusqu'à quelque tournant des relations internationales, une figure émerge pure et sans tache, celle de Staline : personne en France ne la met en cause. Nous avons déjà, dans notre n° 6 de 1965, assuré qu'il n'y a pas un mot de vrai dans la légende d'une conspiration soviéto-américaine pour le <<partage du monde >>et l'instauration d'une « double hégémonie >>sur le monde ainsi partagé, conspiration bientôt devenue <<américaine >> tout court selon les politiciens, orateurs et publicistes qui la dénoncent. On se demande pourquoi ces justiciers ont attendu vingt ans pour s'en aviser. En réalité leur indignation tardive rappelle un peu trop celle de ce parti politique américain qui, en 1955, a provoqué la publication des documents relatifs à Ialta non pas tant par souci de la vérité historique que pour faire pièce au parti rival, à des fins électorales. En France, l'exploitation du désastre de Ialta se situe sur le plan ·de la politique extérieure, mais elle est menée de façon à respecter l'impérialisme soviétique pour s'en prendre non Bibli'otecaGino Bianco .., 1 pas aux aberrations de Roosevelt, m.ais aux ÉtatsUnis en tant qu'ils s'efforcent tant bien que mal· de résister aux empiétements du communisme. Il est frappant que l'orientation nouvelle de la diplomatie française, en prétendue réaction contre Ialta, coïncide dans une large mesure avec les idées de Roosevelt et de Benès consistant à faire confiance au régime soviétique en considérant que son communisme est pour l'essentiel un phénomène national spécifiquement russe. En présence de cette surprenant~ révision des valeurs qui consiste à intervertir l'ordre des facteurs sur l'échiquier politique et à servir une hégémonie réelle tout en honnissant une hégémonie fictive, il importe de rétablir les faits en publiant d'abord les accords de Ialta tels qu'on les trouve sous forme de<<déclaration>> dans le Document de la semaine, n° 22, du 3 mai 1945. Il en existe une autre version, présentée sous forme de <<protocole >>dans un autre ordre, qui commence par un texte sur l'organisation des Nations Unies, à laquelle la France et la Chine sont associées avec les trois <<puissances dirigeantes >>,et qui est tout le contraire d'un partage du monde. En outre, ce <<protocole >> comprend diverses décisions annexes qui ne figurent pas dans la <<déclaration >>I.l y aura lieu de revenir sur cette disparité textuelle qui atteste la, stupéfiante impréparation et le déroulement désordonné de cette conférence de Crimée condamnable dans son principe même, improvisée dans les pires conditions, délibérée à la lfgère (du côté d(}sdémocraties occidentales) par cfes hommes d'Etat déficients entourés de conseillers sans compétence spéciale, et dont les décisions incohérentes fait es de pièces et de morceaux n'ont été pleinement intelligibles que lors de la publication, en mars 1955, du gros recueil documentaire intitulé The Conferences al M alla, and Yalta, 1945. Encore a-t-il fallu constater de sérieuses lacunes et connaitre plus tard· des fragments d'archives complémentaires. On pourra lire à la suite de la <<déclaration >> des trois <<Grands >>s,oit dit ainsi selon la terminologie à la mode, une brève protestation -hâtive écrite en Amérique aussitôt après Ialta par B. Souvarine à l'intention de quelques personnes, et dont le manuscrit subsiste par hasard. . '.\

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