132 CONTRAIREMENT à la révolution d'Octobre, . la révolution de Février est bel et bien achevée. N'en déplaise à Trotski, pour qui la révolution de Février n'était que l' « enveloppe » de celle d'Octobre, Février est un événement en soi, et non pas seulement une sorte de prologue. Certes, d'un point de vue strictement formel 'et chronologique, on peut considérer la révolution d'Octobre comme la dernière phase du processus engendré en février 1917. Mais qu'on les juge d'après les buts qu'elles s'assignaient, les méthodes qu'elles ont employées ou les hommes qui les ont dirigées, les deux révolutions sont différentes l'une de l'autre, voire antagoniques. Les buts de la révolution de Février étaient nationaux, ceux de la révolution d'Octobre, internationaux. Les dirigeants de la révolution de Février, indépendamment de leur appartenance poli tique, considéraient qu'il fallait ré- .soudre avant tout des problèmes d'intérêt national. Au contraire, pour les dirigeants de la révolution d'Octobre, celle-ci n'était qu'un prélude. à la révolution européenne d'abord, mondiale ensuite. La révolution de Février, avec son caractère populaire marqué, s'était déroulée pratiquement sans effusion de sang et avait été une surprise pour ceux-là même qui s'étaient mis à sa tête. La révolution d'Octobre a été un coup d'Etat préparé à l'avance. Octobre a ouvert l'ère de la guerre civile, de la terreur et de bouleversements gigantesques. Les hommes politiques qui ont joué un rôle prépondérant dans la révolution de Février étaient nantis, comme le commun des mortels, de vertus et de défauts divers. Les dirigeants de la révolution d'Octobre, eux, se ramenaient pour la plupart à un certain « type psychologique » bien particulier. En somme, deux révolutions combien différentes, dont l'une n'est pas le prolongement, mais plutôt le contraste de l'autre. A l'approche du cinquantième anniversaire de la révolution de Février, on peut dire que, pour l'essentiel, tout ce qui aurait pu être écrit à son sujet l'a été. Presque tous les dirigeants et participants actifs sont morts aujourd'hui. Nombreux sont ceux qui ont laissé des souvènirs, des essais autobiographiques, des travaux historiques ou simplement des témoignages. Les uns ont essayé d'analyser d'une manière critique le passé. D'aùtres ont tenté de justifier leur propre comportement ou celui de leurs amis politiques. D'autres enfin se sont efforcés de comprendre le sens profond .des événements .. D'ailleurs, outre les ouvrag~s des émigrés rusBibliotecaGino Branco LE CONTRAT SOCIAL ses et ceux d'observateurs ou historiens étrangers, il convient de mentionner ceux qui ont été publiés en U.R.S.S. En comparaison avec les ouvrages qui ont été consacrés à la révolution d'Octobre (7.000 livres, brochures et arti• des au cours des seules années 1957-59), ce qui a été écrit en Union soviétique sur la révolution de Février est plutôt modeste (trois ouvrages en tout et pour tout consacrés au Gouvernement provisoire de Kérenski ainsi qu'aux · partis « bourgeois » et « petits-bourgeois » ). Toutefois, en l'occurrence, le· nombre ne doit · point faire illusion. Ainsi que l'a avoué l'académécien Mintz, lequel coordonne les travaux sur la révolution d'Octobre, ce qui est publié en U.R.S.S. est d'un niveau extrêmement bas et contient peu ·d'éléments nouveaux. Très fréquemment, en effet, ces ouvrages ne font que ressasser des vérités ou des contrevérités connues depuis fort longtemps 2 • Les ouvrages historiques consacrés à la révolution de Février ont été, pour l'essentiel, l'œu- . vre de contemporains. On sait les défauts inhérents à ce genre. Souvent, c'est le désir de justifier à tout prix le rôle. joué par tel homme politique ou tel parti, ou au contraire de démontrer que les fautes ont été commises par d'autres. Parfois, c'est le désir de faire croire qu'il ne pouvait en être autrement et d'attribuer ses propres échecs à la fatalité. L'absence d'une perspective historique suffisamment large, les éléments subjectifs, les passions, le manque de proportions, l'importance exagérée accordée à des faits secondaires au détriment d'une juste compréhension de l'ensemble, ces défauts se retrouvent dans les écrits consacrés à la révolution de Février. Cependant ces défauts sont, dans une certaine mesure, contrebalancés par des avantages évidents. Pour apprécier une situation complexe, les témoins d'événements historiques so~t mieux placés que les spécialistes qui tra- .vaillent. ·sur des· documents équivoques, quoi~ que authentiques. Les témoins et les participants actifs ne sont-ils pas mieux aptes à comprendre l'atmosphère révolutionnaire et à déchiffrer ce qui se cache sous les slogans, les documents et les formules conventionnelles ? L'attitude des historiens contemporains à l'égard des faits et des documents a, d'ailleurs, beaucoup ,évolué. Au XIXe siècle, faits et documents étaient généralement vénérés. Aujour2. Cf. M~r!in _Dewhirst : « L'historiographie soviéti ue récente et l_h1_sto1rede.la révolution •• in Cahiers du moide russe et sovzétrque (Paris). oct.-déc. 1964.
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