FÉVRIER ET OCTOBRE par David Anine C E QU'IL Y A, assurément, de plus extraordinaire dans le régime né de la révolution d'Octobre, c'est sa longévité. Fort peu de gens croyaient, en 1917, que les bolchéviks pussent s'emparer du pouvoir. Presque personne ne croyait qu'ils seraient capables de s'y maintenir longtemps. Parmi les adversaires du bolchévisme, les plus pessimistes eux-mêmes étaient convaincus que la phase bolchévik de la révolution serait, au plus, un épisode de courte durée. Lénine lui-même, tout en prêchant qu'il fallait « oser » saisir le pouvoir, doutait, en son for intérieur, du succès de l'entreprise. Après Octobre et tout au long de la guerre civile, il affirmait que c'était miracle que le. « prolétariat » ait pü s'emparer du pouvoir et s'y cramponner. La longévité du régime issu de la révolution d'Octobre et son caractère inachevé rendent son analyse d'autant plus complexe. Quel sera l'aboutissement de cette révolution ? Depuis la mort de Staline, certains croient à une évolution, lente mais irréversible, du régime. En effet, on peut observer actuellement en Russie un dégel laborieux, dont le cours est interrompu par de brusques retours du gel. A cette occasion, rappelons qu'on a porté sur le régime soviétique des jugements analogues chaque fois que ledit régime était contraint de s'adapter aux circonstances. Dans les années 20, nombreux étaient ceux, en Russie et à l'étranger, qui considéraient que la révolution russe était bel et bien achevée, que, du point de vue historique, sa portée économique et sociale pouvait se résumer en une révolution agraire et en la liquidation du grand capitalisme. Nombreux étaient ceux qui croyaient Biblioteca Gino Bianco alors que, grâce à une démocratisation progressive du système des soviets, la Russie allait acquérir petit à petit les libertés fondamentales, politiques et autres. Un historten aussi prudent et avisé que P. N. Milioukov jugeait opportun de rappeler, en 1925, que dès 1921 il avait écrit : « Nous assistons à la naissance de la démocratie russe ' au milieu des décombres d'un passé sans retour. Il ne faut pas se montrer trop impatient à l'égard de l'immense et complexe processus révolutionnaire qui, dans d'autres pays, a exigé des dizaines, sinon des centaines d'années avant d'atteindre sa phase finale. » Et, considérant que ses prévisions s'étaient réalisées, Milioukov ajoutait : « Je suis heureux de constater que le cours des événements n'a fait que confirmer ce point de vue concernant l'évolution de la révolution russe. Les processus dont je viens de parler, et qu'il était encore difficile de déceler au cours des quatre premières années de la révolution, peuvent être constatés à présent à l'œil nu. Après le sombre tableau d'une destruction quasi totale, nous assistons aujourd'hui à une lutte active entre les forces de construction et celles de destruction, avec une supériorité très prononcée des premières. » Et l'auteur de conclure : « L'évolution interne du régime est là, on ne peut plus le nier. C'est la vie elle-même qui pousse à cette évolution, en dépit des efforts du pouvoir pour ~n entraver _le cours 1 • » En relisant ces lignes, 11 semble bien que la vision d'une Russie démocratique était autrement plus claire il y a quarante ans qu'elle ne l'est aujourd'hui. .. 1. P. Mllloukov: Roulia na ~nlomM (La Russie au tournant), vol. 1. Paris 1927, pp. XII-XIII.
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