QUELQUES LIVRES matérialisme historique, non seulement celles qui font rechercher les répercussions « des découvertes techniques en matière de béton armé sur la vénalité d'un général chinois, sans parler de l'influence du pétrole synthétique sur la psychologie d'un secrétaire de rayon » (p. 160), mais encore celles qui établissent à tout prix « une corrélation entre les classes sociales et les tendances politiques » (p. 166), prétendant que tout ce qui est de gauche est nécessairement prolétarien, alors que « l'expérience historique ( ...) montre les courants dits de gauche comme traduisant assez souvent l'impatience, la combativité ou l'idéologie des forces petites-bourgeoises citadines et rurales » tandis qu' « en règle générale, la classe ouvrière dans sa masse organisée incline dans le sens dit de droite » (p. 167). Au demeurant, n'y a-t-il pas contradiction à découvrir « sous chaque manifestation d'opinion une base de classe » et de recourir pourtant à chaque instant à « l'explication par la trahison » (p. 175) ? Ce n'est pas seulement le marxisme à la mode stalinienne, c'est également le marxisme à la Trotski qui se trouve ici répudié. Peut-être les gauchistes à peu de frais du temps présent jugeront-ils que les Soviétiques ont réfuté par les faits, qu'ils ont réfuté « en marchant » les observations selon lesquelles « l'industrialisation soviétique était impossible sans la contribution des ressources de toute nature du capitalisme occidental » (p. 186 ). Il est question là d'une industrialisation sans violences, sans cruautés inutiles. L'U .R.S.S. a effectivement été industrialisée, sinon sans l'aide des capitaux occidentaux, du moins sans un apport massif de ceux-ci. Mais qui, se réclamant du socialisme, aurait pu croire qu'on allait, au nom du socialisme, infliger aux paysans et aux ouvriers de toutes les Russies un régime sanglant d'exploitation auprès duquel pâlissent les pires misères qu'à bon droit les socialistes d'alors et d'aujourd'hui ont dénoncé dans le capitalisme primitif ? Quand tant d'autres voies plus faciles et plus humaines s'offraient pour parvenir à ce but, était-il possible de prévoir qu'on adopterait celle-là ? La monstruosité est imprévisible. CLAUDE HARMEL. Un 4( socialisme moderne » CLAUDE BRUCLAIN : Le Socialisme et l'Europe. Paris 1965, Editions du Seuil (coll. Jean Moulin), 140 pp. Biblioteca Gino Bianco 191 CETTE ŒUVRE COLLECTIVE, publiée sous un nom d'emprunt par quelques membres du club Jean Moulin, se présente comme un ouvrage « provocant et impitoyable ». En fait, il n'est provocant que pour les perroquets d'un marxisme dogmatique et anachronique, il n'est impitoyable que pour les démagogues ou les marchands d'illusions. Sans le dire, le livre combat toutes les formes de nationalisme - antichambre du totalitarisme ... - qu'il soit d'obédience gaulliste ou extrémiste de gauche, style P.S.U. Le « socialisme », voire une simple politique de croissance économique et de progrès social, n'est pas possible à long terme dans les limites nationales ; il lui faut des dimensions européennes, non seulement celles du Marché commun, mais encore l'unité et la coordination politiques d'une fédération supranationale. Un socialisme national, cher à certaines tendances de gauche, sera inefficace, « médiocre compromis entre une dogmatique de musée et les expédients d'une politique empirique » (p. 15 ), ou bien, mise en conserve de la servitude et de la misère, il sera tyrannique. Si le mouvement socialiste veut se définir, il lui faut d'abord se débarrasser de ses « branches mortes ». Les auteurs admettent que la socialisation centralisée et la distribution autoritaire peuvent convenir à une société vivant dans la pénurie (affirmation des plus contestables, car c'est négliger le rôle compensateu_r de tout marché noir), mais qu'elles sont radicalement insuffisantes dans une société évoluée. En quoi, semble-t-il, ils partagent les vues anciennes d'Elie Halévy et d'Emile Vandervelde qui, en dépit de leurs différences idéologi9u~s, identifiaient le socialisme étatique et autoritaire à l'organisation militaire et tyrannique de la ,, . penurie. L'exemple négatif de l'économie soviétique, incapable de répondre aux besoins diversifiés d'une société en croissance industrielle, doit alimenter toute réflexion sur le socialisme collectiviste, la planification rigide et la distribution par décrets qui sont le fondement des vieux dogmes. Une révision complète est nécessaire : il faut réhabiliter le marché (p. 43 ), ce . . . . . , . ' qui exige une « privatisation » necessaire a l'essor économique et rend inutile, sauf pour certains services, l'appropriation publique des moyens de production devenue un mythe (p. 50) sans portée pratique de par sa faible efficacité. Le problème de la propriété est désormais secondaire. Là-dessus, la thèse du club Jean Moulin s'accorde avec celle de la plupart des partis socialistes européens, et d'ailleurs
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