Le Contrat Social - anno X - n. 3 - mag.-giu. 1966

- 188 Le « camarade Thomas » était en Allemagne « l'œil de Moscou », le délégué du Comintern. B. Souvarine a eu l'heureuse idée d'apporter, en reproduisant un fragment des mémoires de M. N. Roy, une contribution capitale à la bio-:- graphie authentique d'un autre de ces « délégués », ce Michel Borodine auquel Malraux, qui n'en a pas connu beaucoup plus que le nom, a donné quelque célébrité et l'auréole de la légende, en faisant de lui (en filigrane) un héros de ses Conquérants. Conquérant, Souvarine qui l'a· bien connu, témoigne que Borodine ne l'était guère, ni par le tempérament sans doute ni en tout cas par la fonction. Arthur Ransome disait de lui qu'il était « un bon gramophone » (p. 100), et il n'est pas douteux qu'il ne fut, en Chine, que l'exécutant des ordres de Staline. Le malheureux avait, en effet, contre lui, ses origines menchéviques. A tout moment, on pouvait en prendre prétexte pour l'épurer (ce qui d'ailleurs lui advint plus tard, Staline n'oubliant jamais personne), et cette menace permanente garantissait sa fidélité, son zèle à ne rien ajouter qui fût personnel aux directives reçues du Kremlin. Il disait un jour à Souvarine : « Vous comprenez, en tant qu'ancien menchévik, je n'ai aucune chance d'avoir ma place ici. Que vont-ils faire de moi ? » (p. 99). Après tout, malgré sa fin tragique, il ne fut pas des plus à plaindre : on aurait pu lui trouver une place à Moscou et faire de lui, comme d'un Vychinski, l'assassin de ses anciens camarades et de quelques autres. Quant à Roy, qui fut lui aussi délégué du Comintern en Chine (avant de rompre avec l'Internationale en 1929), sa biographie officielle, confirmant celle de la Petite Encyclopédie Soviétique de 1931, indique qu'ayant pris part, dès sa jeunesse, aù mouvement nationaliste antibritannique aux Indes, il était entré en rapports avec les Allemands pendant la Grande Guerre, pour en recevoir de l'or et des armes (il n'en reçut que de l'or) : le mouvement de Chandra Bose durant la seconde guerre mondiale avait -donc eu au moins un précédent au cours de la première. Seul de ceux qui contribuent dans ce volume à l'histoire du Comintern, Branko Lazitch n'est pas un « ex », mais, pour esquisser l'histoire des « écoles de cadres du Comintern » (l'Université communiste des travailleurs de l'Orient ou K .U.T.V., dans laquelle Lucient Laurat enseigna de 1923 à 1927, l'Université communistt> des minorités nationales d'Occident ou BibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL K.U.N.M.Z., l'Université Sun· Yat-sen, enfin, la plus importante, l'Ecole internationale léniniste, pour laquelle, alors qu'elle n'était encore qu'en projet, Souvarine indiquait le 30 mai 1923, dans une lettre au Bureau politique du P.C. français (p. 2 36), que « l'élève-type serait, par exemple, Maurice Thorez, du Pas-de-Calais » ), il a interrogé tant d'anciens communistes ou consulté tant de leurs Mémoires (pour la France notamment Albert Vassart, André Ferrat et Henri Barbé dont il a utilisé les Souvenirs inédits) que son étude trouve tout naturellement sa place dans ce recueil. Nul avant lui n'avait abordé ce sujet, et pourtant il ~st de première importance, puisqu'à partir de 1929 surtout, « l'appareil stalinien eut recours aux élèves de l'école léniniste » pour reconstituer, après les épurations consécutives à la liquidation de Boukharine, ,, qui avait remplacé Zinoviev à la tête du Comintern, les organismes directeurs des partis membres de l'Internationale. «_Ceux qui ·avaient fini l'Ecole léniniste avec la mention très bien ( ... ) parvenaient directement aux fonctions dirigeantes dans le Parti », a écrit Ivan Karaïnavov, dans Les Hommes et les Pygmées, livre paru à Belgrade en 1953 (p. 249). Lazitch en cite un- certain nombre, parmi lesquels les Français retiendront le nom de l'actuel secrétaire général du P.C.F., Waldeck Rochet. Ainsi s'explique, pour une part au moins, mais qui n'est certainement pas négligeable, la cohésion du mouvement communiste international, même après la dissolution du Comintern : les différents partis communistes sont dirigés, en totalité ou partiellement, par des hommes qui ont été formés à la même école, non seulement au sens figuré, mais aussi au sens précis et technique du terme. On peut se demander si la disparitien progressive des militants ayant reçu la même formation et· ayant lié connaissance dans les écoles (cqmme dans les réunions) du Comintern ne va pas contribuer à rendre plus difficile l'unité du mouvement communiste international. Sans doute y pense-t-on à Moscou, et Lazitch signale qu'après la mort de Staline, ses héritiers semblent s'être préoccupés à nouveau de la formation des militants étrangers. Ils leur ont ouvert les portes des écoles du P.C.U.S. - comme ce fut le cas pour Joseph Lenart, président du Conseil des ministres tchécoslovaque depuis 1963, qui passa trois ans, de 1953 à 1956, à l'Ecole supérieure du P.C.U.S. (p. 255) - et ils ont fondé, en 1960, pour les étudiants d'Asie, d'Afrique et d'Amérique latine, l'Université de l'amitié des peuples, devenue

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