186 capitalistes. (...) Lloyd George et Wilson voulaient tout simplement (...) jouer au plus malin. A ce mo- . ment, son visage changea, un large sourire fit saillir davantage encore ses pommettes de Kalmouk, ses yeux brillèrent plus profondément et sut un ton qui dénotait combien il était sûr de sa supériorité dans ce domaine, il ajouta : « S'il s'agit de ça, alors, faitesnous confiance ! » (p. 51). · ·voilà bien l'origine de la coexistence pacifique : c'est un jeu au plus malin proposé par des gens passés maîtres, par génie naturel d'abord, par formation ensuite, en fait de tromperie. Descendons d'un degré, et même de plusieurs: la petite histoire de jadis va éclairer celle de naguère. C'est en 1919, à Odessa. Une délégation soviétique, dont Body est le porte-parole, vient prendre langue avec un officier de la marine française pour mettre au point le rapatriement d'un millier de ressortissants français. Dès ses premières paroles, cet officier jugea opportun de rappeler qu'il représentait le gouvernement de la République française, que luimême était un fervent républicain élevé dans la pure tradition des principes de 1789 et que cela le mettait à l'aise pour recevoir les représentants d'un gouvernement révolutionnaire qui, tôt ou tard, devrait s'inspirer de la « Déclaration des Droits de l'homme » (p. 60). L'officier se fera connaître en tant qu'amiral Muselier ... Si les militants des groupes français de Russie ne furent, somme toute, guère plus que des figurants, ce sont au moins des seconds rôles .qu'ont tenus Angelica Balabanova, première secrétaire en titre du Comintern, et surtout le « camarade Thomas » dont Boris Nicolaïevski - qui recueillit son témoignage en 1935 sans pouvoir. percer sa véritable identité - nous dit qu'il joua dans les premières années de l'Internationale·« un rôle considérable » (p. 1.). Il fut, en effet, « l'œil de Moscou » dans le parti communiste allemand, celui qui assistait aux réunions du Comité central de ce parti pour le compte du Comintern, c'est-à-:-diredu Politbureati soviétique, adressant à celui-ci des rapports sur ce qui s'y disait, sans en référer aux dirigeants allemands. Ceux-ci l'apprirent, protestèrent, mais durent se résigner : « Le C.C. allemand ne pouvait s'insurger : sur le plan matériel, il dépendait entièrement de Moscou; tout le problème résidait dans cette dépendance » (p. 2). Le rayon d'action de Thomas débordait les frontières allemandes. On lui avait confié un Biblio-teca Gino Bi.anco LE CONTRAT SOCIAL fonds de 50 millions de marks-or pour soutenir l'action des partis communistes dans le monde : Tout ·1e financement de l'action de l'I.C. à l'étranger était centralisé chez moi (...). Chaque parti communiste devait présenter un budget accompagné d'explications détaillées précisant les besoins pour lesquels l'argent était demandé et la somme globale. Je faisais vérifier (...) par des experts, et, en même temps que mes conclusions, je les envoyais à Moscou, à l'i. C. Celle-ci (...) établissait son budget général et, après avoir fixé le montant des dotations, le transmettait au C.C. russe, (...) qui statuait en dernier ressort (p. 22). Avant de gérer ce fonds - de type très bourgeois, - 'l;'homas avait été nanti de trésors d'un genre plus insolite. Quand Lénine l'envoya à Berlin, Ganetski, le trésorier du Parti, le conduisit dans une chambre forte où se trouvait la caisse secrète ( ...) dans le sous-sol du Pa~ais de· justice (...). Nous éclairant d'une lanterne, nous nous engageâmes dans d'obscurs souterraÏ11s qui ressemblaient à un labyrinthe. Il fallut plusieurs clés pour ouvrir la lourde porte. Nous entrâmes dans un local souterrain, sans fenêtre, à peine éclairé. Mon regard ne parvint pas à tout distinguer d'emblée : aux murs, .des casiers pleins de je ne sais quoi; par terre, des caisses et des valises (...). Partout, de l'or et des joyaux, des pierres précieuses desserties, sur le plancher. Quelqu'un avait tenté de faire un tri, puis renoncé. Une caisse, près de l'entrée, était pleine de bagues. D'autres étaient remplies de montures en or dont on avait retiré les pierres. Ganetski, projetant alentour la lueur de sa lanterne, me dit en souriant : « Choisissez ! » Il m'expliqua ensuite que tous ces bijoux avaient été enlevés par la Tchéka aux particuliers, sur les instructions de Lénine (p. 12). Si Victor Serge qui, au même moment, était « rédacteur technique » de l'Internationale communiste (Body, p. 49), avait pu descendre dans ce caveau (mais ce fut toujours hors de question), son récit eût sans doute été moins exact que celui du camarade Thomas, mais combien moins prosaïque : il aurait cru vivre un épisode des Mille et Une Nuits, et ses lecteurs l'auraient cru avec lui. D'ailleurs (Souvarine le rappelle à propos de Borodine) l'imagination des journalistes, formée à l'école de Rocambole et des romans historiques de l' époque romantique, avait déjà· ennobli ces trésors, ·et . « toutes les pierres précieuses qui sortaient de Russie en ces années troubles passaient pour diamants de la couronne » (p. 98 ). Peut-être le plus important du témoignage de Thomas et de Balabanova réside-t-il dans ce qu'ils rapportent de la façon frauduleuse dont fut enlevée la décision de créer une nouvelle Internationale. A la conférence convoquée à cet eff~t, les trente ou trente-cinq « repré- .sentants » du mouvement ouvrier à l'étranger avaient été désignés par le Comité central du P.C. russe et ne représentaient personne, sauf Eberlein, délégué des spartakistes allemands. Aussi, malgré leur dépendance à l'égard de
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