revue historique et critique JeJ /aitJ et Jes iJéeJ Mai-Juin 1966 Vol. X, N° 3 SIMULACRE DE CONGRÈS par B. Souvarine LE PARTI COMMUNISTE DE L'UNION SOVIÉTIQUE a tenu, du 29 mars au 8 avril, ce qu'il appelle arbitrairement son XXIIIe Congrès, alors que ce parti n'a plus rien de commun · depuis longtemps avec celui qui, sous l'étiquette social-démocrate, tint son premier congrès en mars 1898 et dont le Manifeste fut écrit par Pierre Struve. C'est seulement à partir du sixième congrès social-démocrate, réuni en août 1917, que la fraction bolchévique s'affirme en parti distinct des autres formations social-démocrates et ce sera l'année suivante, au septième congrès, que ledit parti se dénommera communiste. Cette question de numérotation n'a finalement aucune importance, sauf celle de montrer que les communistes trichent sur le moindre détail et éprouvent le besoin de vieillir leur parti de vingt ans pour se donner des lettres de noblesse. D'autre part, c'est par un véritable abus de langage qu'il appelle « congrès » une assemblée comme celle qu'il a récemment convoquée. Un congrès, disent tous les dictionnaires, doit être une réunion de gens qui délibèrent sur des intérêts communs. Or il y a belle lurette que les pseudo-congrès de ce parti ont cessé • de délibérer : le Comité central, voire le Politburo, s'en charge au préalable. On ne voit pas trace de délibération dans le compte rendu officiel de ce dernier « congrès », pas plus que dans celui des précédents depuis plus de trente ans, pas même dans celui du XVIP Congrès de 1934 dont 1.108 membres sur 1.966 ont péri de mort violente par ordre de Staline (discours secret de Khrouchtchev dixit). Les rapporteurs désignés ont lu leurs rapports, les orateurs désignés ont récité leurs leçons, les congressistes désignés ont applaudi et chanBiblioteca Gino Bianco té, mais tout cela ne ressemble en rien à des délibérations. Des disques de gramophone auraient fait aussi bien l'affaire. Si les XXe et XXIIe Congrès, en 1956 et 1961, ont forcé l'attention et excité l'intérêt, ce n'est pas qu'ils aient été plus délibérants que d'autres, c'est que les· dirigeants avaient choisi ces occasions pour révéler aux dirigés leurs intentions politiques et leurs règlements de comptes. Au XXe, Mikoïan, Souslov et Pankratova ont commencé, Khrouchtchev a achevé le déboulonnage de Staline. Au XXIIe, une quarantaine d'orateurs officiels, parmi lesquels Brejnev, Kossyguine, Souslov, Podgorny, Chélépine et autres hauts dignitaires actuels, ont révélé et dénoncé les crimes abominables, personnels, de Molotov, de Malenkov, de Kaganovitch et de leurs complices ; tous ont appuyé Khrouchtchev dans une opération supplémentaire pour discréditer Staline. Une seule voix discordante, mais celle d'un Chinois. Aucune délibération, donc point de congrès : les chefs parlent, les cadres applaudissent, unanimes. Cette fois encore, tout s'est déroulé suivant un rituel bien réglé, immuable, sans bavure, et sans le moindre Chinois pour troubler la cérémonie. Cinq mille assistants déguisés en congressistes et deux mille invités : les chiffres parlent d'eux-mêmes et prouvent qu'il ne s'agissait pas d'un congrès, mais d'un rassemblement de partisans mobilisés pour entendre la bonne parole, approuver, applaudir au signal, voter à l'unanimité, puis repartir pour transmettre au vulgum pecus les ordres et les mots d'ordre. Le groupe dirigeant du Parti forme aussi le noyau du prresidium du Congrès qui avise à la bonne marche des séances et pare
RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==