170 n'implique nullement l'interdiction des « frac- . tions » et la généralisation du système des cooptations. Par une cruelle vengeance de l'histoire, Lénine fut amené quelques années plus tard à ressusciter, poussées jusqu'à l'absurde, toutes les-naïvetés de la « démocratie primitive » qu'il raillait en 1902. En effet, son livre L'Etat et la Révolution ( 1917), reflet théorique de la phase prolétarienne du bolchévisme, est tout entier bâti sur l'idée - utopique, sinon démagogique - que l'Etat, ou plutôt le non-Etat prolétarien, opérerait un retour dialectique à la démocratie primitive et deviendrait « immédiatement » un Etat sans police, sans armée permanente sans fonctionnaires spécialisés, où « tous gou~erneraient à tour de rôle et s'habitueraient vite à ce que personne ne gouverne » (XXV, 527). C'est dans ce livre que nous trouvons aussi une attaque féroce contre le « renégat Kautsky », coupable d'avoir repris à son · compte les arguments._.. des époux Webb contre la « démocratie primitive » (XXV, 526). « Comme tous les opportunistes », Kautsky était incapable de comprendre qu'il « était impossible de passer du capitalis1;1eau ~ocialism_e sans un certain retour au democratlsme primitif » (XXV, 455) : aveuglé par le « culte superstitieux de la bureaucratie », il croyait qu'il était « impossible de. se _passer des _fonctionnaires tant dans l'organ1sat1on du paru que dans celle des syndicats et dans l'administration de l'Etat » (XXV, 524). Aussi bien, son programme se bornait à 1ema~der « n?n pas la suppression des fonctlo~naires, mais, l~ur élection par le peuple », tandis que pour Lenme il s'agissait de suppri~er, comp~ètemen! le _fonctionnariat et de revenir a la democrat1e directe et totale que Morgan et Engels avaient cru apercevoir dans les sociétés archaïques. Tout autre était son langage en 1902. Il citait alors avec vénération la critique kautskiste de la « conception primitive de la démoBiblioteca Gino Bianco DÉBATS ET RECHERCHES cratie » : « Kautsky raille les gens qui exigent, au nom de la démocratie primitive, que " les journaux populaires soient rédi~és ?Îrecte~ent . par le peuple ". Il prouve la necess1té de Journalistes, de parlementaires prof~ssionnels, at~aque le "· socialisme des anarchistes et des littérateurs " qui, " visant à l'effet ", préconisent la législation populaire .dir~cte et ne, compr~nnent paS' que son apphcat1on est tres relative dans la société actuelle » (p. 292). En 1917, Lénine exigera la suppression de tout le personnel spécialisé de l'Etat et de l'économie et vouera aux gémonies le « renégat Kautsky », coupable d'avoir « oublié », « bafoué » « falsifié » les enseignements que Marx et Eng~ls avaient tirés de la Commu~e de Paris. Quelques mois plus tard, au premier contact avec les réalités du po~voir, Lénine a brutalement rayé de sa mémoire 1:anarchisme dém,~- gogique de son programme d Octobre. Ce qu t1 proposa alors comme exemple n'était plus l_a Commune, mais le système ultra-bureaucratique de gestion de l' éco~omie de guerre allemande. Par-delà l'écroulement des rêves et les fluctuations des mots d'ordre, l'unique tâche qui demeurait était de « se mettre à l' ~cale du capitalisme d'Etat allemand » : « Ou1, metstoi à l'école de l' Allemand. Il se trouve que c'est -!'Allemand qui incarne aujourd'hui, en même temps qu'un impérialisme féroce, les principes de discipline, d'organisation, ~e coll~- boration harmonieuse sur la base de l'10dustr1e· moderne » (XXVII, 164). Ce n'était pas la première fois que le· chaos russe rencontrait la discipline allemande. Lénine avait employé exactement les mêmes termes en 1902 pour justifier la structure antidémocratique qu'il voulait imposer à son parti de « révolutionnaires professionnels ». K. PAPAIOANNOU. · (Fin au prochain numéro) 0 .,
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