Le Contrat Social - anno X - n. 3 - mag.-giu. 1966

K. PAPAIOANNOU démocratique réformiste, la liberté de faire pénétrer dans le socialisme les idées bourgeoises et les éléments bourgeois » (p. 178) ; « la fameuse -liberté de critique ne signifie pas le remplacement d'une théorie par une autre, mais la liberté à l'égard de tout système cohérent et réfléchi ; elle signifie éclectisme et absence de principes » (p. 191). · Devenue synonyme d' « opportunisme » et d' « éclectisme », la liberté de critique devait être formellement répudiée, de même que les principes démocratiques d'organisation, par exemple celui de l'électivité des organes centraux. Il est vrai qu'en 1902 Lénine rendait encore hommage à la démocratie et à sa force éducative ; il prétendait seulement que les principes fondamentaux de la démocratie à l'intérieur du parti étaient complètement impraticables sous les « ténèbres de l'autocratie » qui enveloppaient la Russie « asiatique et barbare ». « Personne, dit-il, ne qualifiera d'organisation démocratique un parti recouvert du voile du secret pour tous ceux qui n'en sont pas membres » (p.· 288). Or il était évident que l'illégalité et la surveillance de l'Okhrana rendaient nécessaires les méthodes secrètes de la conspi- .ration : Lénine ne pouvait prévoir qu'une fois au pouvoir, son parti allait jeter le voile du secret sur la totalité de la vie sociale, depuis les activités de ses propres dirigeants jusqu'aux statistiques des salaires et du niveau de vie. De même, « il serait absurde de parler de démocratie » sans une application complète et méthodique du « principe électif » (p. 288). Cette « condition qui va de soi dans les pays de liberté politique » (p. 289) inspire à Lénine un véritable hymne à la démocratie : Comme l'arène politique est visible pour tous, comme la scène d'un théâtre pour les spectateurs, chacun sait par les journaux et les assemblées publiques si telle ou telle ~ers~mne re~~nnaît ou ~on le parti le soutient ou lui fait oppos1t1on. On sait que tel ~itant politique a eu tel ou tel début, qu'il a évolué de telle ou telle manière, qu'il se signale par telle ou telle qualité; aussi tous les membres du parti peuvent-ils, en connaissance de cause, élire c~ militant ou ne pas l'élire à tel ou tel poste du paru. Le contrôle général de chaque pas fait par un me~bre du parti dans sa carrière politique, crée un mécamsme fonctionnant automatiquement et assurant ce qu'on appelle en biologie la « persistance du plus apte ». Grâce à cette « sélection naturelle », résultat d'une publicité absolue, de l'élection et du contrôle gé~éral, chaque militant assume la tâche la plus appropriée à ses forces et à ses capacités, supporte lui-même toutes les conséquences de ses fautes et démontre devant tous son aptitude à comprendre ses fautes et à les éviter (p. 289). Ici ouvrons une parenthèse : que dirait Un~e s'il vivait aujourd'hui ? Ses disciples au Biblioteca Gino Bianco 169 pouvoir ont pu rendre l' « arène politique » invisible pour la quasi-totalité des citoyens, élever au pouvoir des chefs transformables à tout instant en « espions, assassins et monstres », faire des élections une farce bouffonne, instaurer un système de « sélection naturelle » où seuls la communion dans le crime et l'aplatissement dans le conformisme pouvaient assurer la « persistance du plus apte ». Khrouchtchev a dit de Béria dans son discours de février 1956 : « Il est maintenant établi que le misérable avait gravi l'échelle du, pouvoir sur un monceau de cadavres. » Mais en quoi sa carrière différait-elle de celle de Khrouchtchev lui-même et des autres « fidèles compagnons d'armes du grand Staline » ? Ce n'est assurément pas à ce genre d' « aptitudes » que pensait Lénine lorsqu'il glorifiait la « sélection naturelle » en régime démocratique. Il n'empêche : on a l'impression que si · Lénine donne de la démocratie une image aussi « fraîche et joyeuse », ce n'est que pour mieux l'enterrer. « Essayez un peu, dit-il, de faire tenir ce tableau dans le cadre de votre autocratie » (p. 289). Les raisons ne manquaient pas de renvoyer la démocratie à plus tard, mais quand il eut pris le pouvoir, Lénine a-t-il jamais essayé de « faire tenir ce tableau » dans le cadre de son « socialisme » ? Le dithyrambe à la démocratie n'excluait nullement quelques coups de griffe contre certaines « idées confuses qu'on se fait de la démocratie » (p. 292 ). Impossible dans le cadre de l'autocratie, la démocratie à l'intérieur du parti n'était pas complètement réalisable, même dans les pays de liberté politique : L'ouvrage des époux Webb sur les trade-unions renferme un curieux chapitre sur la « démocratie primitive ». Les auteurs y racontent que les ouvriers anglais, dans la première période de leurs Unions, considéraient comme une condition nécessaire de la démocratie la participation de tous les membres à tous les détails de l'administration : non seulement toutes les questions étaient résolues par le vote de tous les membres, mais les fonctions mêmes étaient exercées par tous les membres à tour de rôle. Il fallut une longue expérience historique pour que les ouvriers comprissent l'absurdité d'une telle conception de la démocratie et la nécessité d'institutions représentatives d'une part et de fonctionnaires syndicaux de l'autre (p. 292). Il y a .beaucoup de mauvaise foi dans cette digression : aucun des adversaires de Lénine ne réclamait la démocratie intégrale, tandis qu'il s'agissait pour Lénine de supprimer la liberté de critique. Or l'impossibilité de la « démocratie primitive » (de type athénien)

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