Débats et recherches LE PARTI TOTALITAIRE par Kostas Papaioannou CE QUI nous paraît nouveau en U.R.S.S., ce n'est pas l'étatisation de l'économie (caractéristique des régimes archaïques qu'à la suite des classiques Marx désignait par le vocable « despotisme oriental »), nï l'écrasement de la libre pensée (trait permanent de tous les régimes théocratiques), ni l'allure fulgurante de l'industrialisation (la Russie tsariste, les Etats-Unis, le Japon ou l'Union sud-africaine ont connu des taux aussi élevés à moindres frais, sinon avec plus d'efficacité), ni l'expropriation massive des paysans (c'est bien cela qu'annonçait le de te fabula narratur du Capital, mais Marx ne soupçonnait pas que, par-dessus les « philistins allemands », il s'adressait en réalité aux plus « orthodoxes de ses disciples » ), ni l'écrasement des organisations ouvrières (le fascisme italien avait le premier tracé le chemin que le stalinisme et le nazisme ont suivi avec la même déconcertante facilité), ni l'instauration d'une discipline draconienne dans les usines (qu'on relise La Situation des classes laborieuses en Angleterre d'Engels), ni la rigueur impériale (ce n'est pas la première fois qu'on a déporté des peuples allogènes ou écrasé des révolutions irrédentistes), ni la terreur ( ...nulla sine pœna cessavit dies... ), ni même la troublante situation d'une classe dominante matériellement privilégiée, mais spirituellement et politiquement aliénée : la nouvelle classe des « hommes de service », créée, elle aussi, de toutes pièces, par l'autocratie des tsars, n'était pas plus libre que l'intelligentsia soviétique sous le règne du vo;d. Originalité du totalitarisme CE QUI nous paraît vraiment original dans Je système dont Staline fut le héros éponyme Biblioteca Gino Bianco I et comme le péché originel, c'est tout d'abord l'extraordinaire rapidité avec laquelle tous ces éléments traditionnels, voire archaïques, de la puissance ont pu ressusciter, amalgamés et perfectionnés, en plein xr siècle, et cela après le triomphe d'une double révolution qui avait promis le socialisme dans les villes et instauré réellement la libre exploitation paysanne dans les campagnes. Moins de quinze ans après la fin de la guerre civile, et sans qu'il y ait eu contrerévolution apparente, les deux classes, ouvrière et paysanne, qui, chacune pour son compte, avaient fait la révolution de 1917-21, et qui constituaient l'immense majorité de la population, furent, l'une après l'autre, dépossédées de toutes les conquêtes de la révolution, privées de tout moyen d'autodétermination, ramenées à des conditions de subordination inconnues de l'ancien régime et, surtout en ce qui concerne l'immense majorité paysanne, soumises à un degré d'exploitation sans précédent dans les temps modernes. Le deuxième novum du régime totalitaire est incontestablement constitué par la concentration intégrale des pouvoirs politiques, idéologiques et économiques traditionnellement séparés et la centralisation théoriquement absolue du pouvoir total. Comme disait Marx dans Le 18 Brumaire, « chaque intérêt commun fut immédiatement détaché de la société, opposé à elle à titre d'intérêt supérieur, général, enlevé à l'initiative des membres de la société, transformé en objet de l'activité gouvernementale ». Mais cette fois-ci, la sphère de la réglementation autoritaire ne se limite plus au « pont, à la maison d'école et à la propriété communale, aux chemins de fer, aux biens nationaux et aux universités », à quoi se réduisait l'étatisme du
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