--- 158 prisonnier et une voyante l'avait persuadé en - 1924 que ce dernier était toujours vivant, mais que, enfermé dans un asile d'aliénés, il ne pouvait donner de ses nouvelles. Par l'intermédiaire de Klimovitch, Choulguine demanda à Iakouchev s'il lui serait possible de venir lui-même à Moscou pour rechercher son enfant. Le Guépéou sauta sur l'occasion et la réponse de Iakouchev fut : « Je ne peux pas vous garantir une sécurité absolue, mais je vous invite à Moscou. » Ce voyage, dont les moindres détails furent soigneusement organisés par les tchékistes, permit à Choulguine de visiter Moscou, Kiev et Léningrad. Le visiteur était constamment accompagné par des tchékistes, membres du Trust. Pendant les longs trajets en chemin de fer, d'autres tchékistes jouaient dans le compartiment le rôle de compagnons de voyage fortuits, issus des milieux les plus divers. Il s'agissait de présenter à Choulguine une image de la Russie nouvelle, conforme à celle que le Guépéou voulait impo- , . , ser aux em1gres. Choulguine, qui avait une plume facile et avait déjà publié deux ouvrages qui eurent en leur temps quelque renommée, fut invité par Iakouchev à écrire, une fois rentré à Paris, un récit de son séjour. Choulguine n'avait pas trouvé trace de son fils, mais il était enchanté de ce qu'il avait vu en Russie. Il reprit le train à Moscou dans la nuit du 6 février 1926, à destination de Minsk. Le passage de la frontière s'effectua avec la mise en scène habituelle de stricte clandestinité. De Varsovie, il écrivit au Trust : « Merci encore une fois pour tout (...). C'était comme si un bon magicien m'avait pris par la main et, après m'avoir montré un royaume de rêve, m'avait ramené sur la terre » (p. 283). Le manuscrit de son ouvrage était prêt le 3 mars 1926. « Pour ne pas risquer de compromettre le Trust aux yeux du Guépéou par une indiscrétion involontaire », il envoya son travail à Iakouchev pour révision. Le livre, intitulé Trois capitales, fut revu non seulement par Iakouchev, mais aussi par. -plusieurs dirigeants tchékistes. Publié en automne 1926, sa traduction française parut en juin 1927 10 • Nous y renvoyons le lecteur pour tous les détails savoureux de cette aventure que Nikouline décrit au lecteur soviétique. Il faut pourtant remercier ce dernier de nous donner l'identité réelle de plusieurs « monarchistes » rencontrés par Choulguine : Ivan Ivanovitch, le 10. Vassili Schoulguine : La Résurrection de la Russie, Paris 1927, Payot. . ✓ Biblioteca Gino Bianco . . LE CONTRAT SOCIAL si sympathique passeur de la frontière à l'aller et au retour, était le tchékiste Mikhaïl I. Krinitski, Langovoï était le chef des contrebandiers et Anton Pavlovitch, si disert, était Dorojinski. Quant à Vassili Stépanovitch, décrit par Choulguine à la page 190 comme « un homme qui ne pouvait pas être. un traître. Il avait de si bons yeux, un si bon sourire », c'était le tchékiste Chatkovski, qui avait pris part à la capture de Reilly. · Le but visé par le Guépéou en organisant avec tant de soins le voyage de Choulguine fut amplement atteint. Son livre sema de nouvelles discordes dans l'émigration russe et dissipa les soupçons envers le Trust suscités par la mort de Reilly. Autre exploit, le Trust réussit à mettre la main sur le mouvement « eurasien », constitué par des jeunes en révolte contre les vieux cadres de l'émigration blanche. Bien que l'idéologie de ces « Eurasiens » ait été des plus fumeuses, pour ne pas dire absurde, le Guépéou, à juste titre, décida de s'y intéresser : Au fond, ces gens enfoncent un coin dans l'émigration blanche. Ils peuvent être très utile pour le Trust. Cette puissante organisation clandestine devrait avoir un groupe de jeunes ultras, sa propre fraction eurasienne, qui se disputerait, soi-disant, avec la direction du Trust. Cette section, ayant son propre programme pour sauver la Russie, chercherait un soutien chez les Eurasiens de l'étranger, mécontents eux aussi des monarchistes de la vieille école. Le rôle de chef de la fraction eurasienne du Trust fut confié au colonel Langovoï. Le Guépéou organisa une conférence de la fraction à Moscou, .un congrès à Berlin en janvier 1925 (lequel se réunit dans l'appartement de Goutchkov), enfin une deuxième conférence à Prague. Si toutes les formations antisoviétiques de cette époque ne sont plus qu'un souvenir histo- _ rique, il existe encore,. dans l'émigration russe ancienne et récente, une organisation active et énergique dont l'arbre généalogique remonte aux Eurasiens. Héritière de maintes convictions · fascistes· de son lointain ancêtre, cette organisation reste un élément permanent de discorde dans l'émigration. Il y a quelques années, elle a ainsi fait échec aux efforts des Américains pour unifier les diverses tendances de l'émigration de l'ancien Empire russe. r i i 1 ~- q 1 , , ; r !. * . ,-: r " . ' - :T-r- . : 'f- 'f-. 1j } .u .' ·' . . : MALGRÉces succès, l'imposture du Trust ne pouvait durer éternellement.· Iakouchev et ses acolytes marchaient sur la corde raide et la moindre bévue devait leur être fatale.. En mars 1927, Zoubov et Baskakov furent. dépêchés pour reprendre contact avec les grou-
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