Le Contrat Social - anno X - n. 3 - mag.-giu. 1966

156 vivait à Moscou et ne pouvait lui donner de · ses nouvelles. Nicolas Bounakov demanda un jour à Iakouchev s'il lui serait possible de correspondre avec son frère : - Oui, naturellement. Mais pourquoi ne pas le voir vous-même? - Je ne peux tout de même pas aller à Moscou me jeter dans les bras du Guépéou. - Bien entendu. Mais c'est votre frère qui peut être par nos soins conduit sain et sauf à Helsinki ! En effet, au début d'août 1925, les émissaires tchékistes du Trust vinrent un soir chez Boris Bounakov (...) et le mirent dans un train qui le lendemain matin arriva à Léningrad (...). Tard dans la nuit, un garde-frontière soviétique, soi-disant acheté par le Trust, le fit passer sur l'autre rive de la Sestra où l'attendaient déjà son frère Nicolas et le capitaine Ruzenstrem. Depuis, la confiance de Bounakov en Iakouchev n'avait plus de limites. Reilly voulait, dès le mois de mai, prendre contact avec le Trust, mais c'est seulement en août que Bounakov avait reçu un télégramme de lui : « Regrette retard dû règlement affaires personnelles (...). Serai certainement prêt à partir 15 août. Faut-il venir à Paris ou Helsingfors? Conférence générale peut-elle être réunie fin du mois ? » (p. 255). On lui répondit de passer par Paris et d'y voir Koutiépov. Lors de leur entrevue, ces deux personnalités ne se plurent pas. L'Irlandais, déçu par l'émigration blanche, traitait de haut les chefs de celle-ci. Dorénavant, il comptait surtout sur « les forces de l'intérieur », d'où son intérêt pour le Trust. Reilly arriva à Helsinki à la fin de septembre .. Le 25 de ce mois, · Iakouchev le rencontra chez Bounakov : Reilly, plein de morgue et d'arrogance, avait tout d'abord déclaré que, cette fois-ci, il n'avait pas le temps d'aller en Russie, car il devait se rendre à Stettin. Le prochain bateau ne partait que le 30 septembre. Or, d'ici cette date, on ne pouvait rien faire de bon à Moscou, et il lui était impossible de rester plus longtemps. Il irait en Russie dans deux ou trois mois pour faire connaissance avec le Trust. Je lui répondis : - Quel dommage de s'arrêter au seuil après avoir fait un voyage aussi long d'Amérique jusqu'ici. S'il s'agit de la durée, je m'engage à organiser le voyage de 1~ façon suivante : arriver samedi matin à Léningrad, y passer la journée du 26, prendre le train du soir pour Moscou. On y aura toute la journée du dimanche 27 pour prendre contact avec le C:Onseilpolitique du Trust. Repartir le soir pour Léningrad, y passer la journée, franchir la frontière dans la nuit et arriver à Helsinki le mardi 29. Or, votre bateau pour Stettin ne part que le mercredi 30 septembre. Après quelques instants de réflexion, Reilly se décida : - Vous m'avez convaincu. Ça va. Je pars avec vous. - Mais vos vêtements attireront trop l'attention à Moscou. Empruntez le manteau ·de Radkévitch. Il vous faut acheter une casquet~e et des bottes hautes. Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL Laissez vos affaires chez Bounakov. Il vous faudra une petite valise. Je peux vous promettre un voyage parfaitement sûr, mais pas très confortable. Iakouchev expédia le télégramme convenu à la direction du Trust et le Guépéou fut aussitôt prévenu. Avant de partir, Reilly chargea Bounakov de faire parvenir à sa femme la lettre suivante : « Je pars ce soir et serai de retour mardi matin. Il n'y a aucun risque. Si, par hasard, je suis arrêté en Russie, ce ne sera que pour un motif insignifiant. Nos nouveaux amis sont tellement puissants qu'ils obtiendront ma libération. » Le 25 septembre, à 22 heures, Reilly, escorté · par le capitaine Ruzenstrem et par Radkévitch, arriva à la gare de Kuokkala. Vers minuit, ils se dirigèrent vers la rivière Sestra. Sur la rive soviétique, Reilly était attendu par Toïvo Viahi, un garde-frontière qui jouait le rôle de passeur soudoyé par le Trust. Celui-ci devait conduire Reilly en charrette à la gare de Pargolovo et le mettre dans le train. Si, en cours de route, Reilly semblait changer d'avis ou vouloir fuir, Viahi avait pour instructions de l'abattre. Reilly monta dans le train où l'attendaient Iakouchev et le tchékiste Chtchoukine, autre « membre » du Trust. Reilly reçut un passeport en règle au nom de Steinberg. Le 26 au matin, ils étaient à Léningrad et la mise en scène continua de se dérouler sans accroc. Il s'agissait de connaître les projets de Reilly, de le laisser s'enferrer le plus possible avant de l'arrêter. Il passa la journée dans l'appartement de Chtchoukine, où il fit la connaissance du tchékiste Starov, prétendument ouvrier et délégué au Soviet de Moscou, ainsi que de Moukalov, vrai monarchiste et émissaire de Wrangel dans le .Trust. Le soir, Reilly, Iakouchev et Moukalov partirent pour Moscou. Ils furent accuellis à la gare par des « personnalités du Trust », les tchékistes Dorojinski, Chatkovski et Starov, qui les conduisirent en auto dans une datcha de la banlieue où fut mise en scène une séance du Conseil politique du Trust. Le général Potapov et le colonel Langovoï étaient présents. Reilly savait que ces deux officiers faisaient partie des cadres de l'Armée rouge, mais il ignorait que celle-ci les avait prêtés au Guépéou. Après un bon déjeuner, on ~lla se promener dans la forêt voisine. Une clairière isolée convenait parfaitement à une conférence ultra secrète. Iakouchev parla de l'aide des Anglais au Trust et des subsides. Reilly répliqua : - Dans la conjoncture politique actuelle, aucun gouvernement ne vous accordera de subsides (...). Il vous faut trouver de l'argent sur place. Voici comment. Ce projet est brutal et ne vous plaira probable-

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