E. DELIMARS • tement manipulés par les tchékistes du Trust, qui les persuadaient de l'imminence de la chute du régime, ces émissaires incitèrent Savinkov à venir en Russie pour se mettre à la tête du mouvement. On lui avait indiqué les filières, les mots de passe et les lieux de rendez-vous. Reilly avait approuvé et financé le voyage. Le 10 août 1924, Savinkov quitta Berlin pour Varsovie. Il passa la frontière par la « fenêtre » prévue et fut conduit à Minsk où il fut arrêté par Pillar. Le 29 août, la presse de Moscou annonça sa capture. Lors de son procès public, il reconnut ses crimes envers le pouvoir soviétique. Condamné à mort, sa peine fut commuée en dix années_de prison. Bien traité, visité même une fois par des journalistes étrangers, cet homme d'action ne put supporter l'inactivité forcée dans sa cellule. Le 7 mai 1925, huit mois après sa capture, il mit fin par le suicide à son extraordinaire carrière d'aventurier politique (pp. 245-48 ). Quant à Reilly, Nikouline suit pas à pas le dossier des archives du Guépéou intitulé : « Capture ·de Sidney George Reilly, officier de réserve des Forces aériennes· britanniques ». Né en Irlande en. 1874, selon ses déclarations 7, diplômé de la faculté de philosophie à Heidelberg et de l'Institut royal de chimie à Londres, Reilly fit d'abord une brillante carrière de brasseur d'affaires et de trafiquant d'armes à Port-Arthur, au Japon, en Allemagne et aux Etats-Unis. Déjà à la tête d'une grosse fortune, il entra en 1916 à l'intelligence Service. « C'était un gentleman brun, très soigné, d'aspect très exotique et qui parlait anglais, russe, français et allemand à la perfection, bien que, chose assez étrange, toujours et pour chaque langue avec un accent étranger 8 • » En 1917, il fut envoyé en mission spéciale en Russie et y déploya une grande activité antisoviétique. Ses projets étaient grandioses. Un jour, il déclara à un intime : « Si un lieutenant d'artillerie a réussi à piétiner le brasier fumant de la Révolution française, pourquoi un agent de l'intelligence Service ne deviendrait-il pas maître de Moscou ? » A Moscou, il prit une part active à l'insurrection des socialistes-révolutionnaires de gauche, en juillet 1918. Un mois plus tard, il était à la tête du fameux « complot des ambassadeurs » : il s'agissait de faire arrêter Lénine et tous les membres du gouvernement soviétique 7. Selon d'autres sources, né à Odessa d'un Irlandais et d'une mère Juive. 8. Capitaine George Hlll : Ma vie d'eaplon (I.K. 8), Parl1 t 933, p. t 91. Biblioteca Gino Bianco 155 par leurs propres gardes du corps lettons 9 , de les transférer à Arkhangelsk et de les remettre au détachement britannique débarqué là. Ce complot ayant été découvert par la Tchéka, les chefs des conjurés : Robert Bruce Lockhart, ex-consul de Grande-Bretagne en Russie en 1915-17, et depuis janvier 1918 chef de la mission britannique à Moscou, Grenard, ex-consul de France à Moscou, et Sidney Reilly furent jugés du 28 novembre au 3 décembre 1918 : Ils furent déclarés ennemis des travailleurs, mis hors la loi en R.S.F.S.R. et condamnés à être fusillés à la première apparition sur le territoire de la Russie. Reilly avait réussi à fuir avant le procès, Lockhart fut échangé contre Litvinov, alors détenu dans une prison anglaise, et Grenard - expulsé de Russie (p. 244). Peu après, on retrouve Reilly à Odessa, alors occupée par les Blancs et les Alliés. Il collabore ensuite avec Savinkov et dépense de fortes sommes pour financer les « expéditions » de ce dernier en Biélorussie. La capture de Savinkov, qu'il admirait beaucoup, avait profondément affecté Reilly et il avait décidé de le venger. Le Guépéou n'avait jamais perdu de vue son ennemi juré. En janvier 1925, les tchékistes confièrent à Iakouchev la mission d'attirer Reilly en territoire soviétique. Un mois plus tard, le chef du Trust se rendit à Helsinki où Nicolas Bounakov, agent de l'intelligence Service, lui conseilla d'établir un contact entre son organisation et Londres : - Je peux vous promettre la visite d'un Anglais, désireux de faire une reconnaissance en Russie. Il s'agit de Reilly, le plus dangereux ennemi des Soviets, qui dispose d'excellentes liaisons personnelles et financières, non seulement en Grande-Bretagne, mais aussi aux Etats-Unis. Bounakov montra à Iakouchev une lettre de Reilly où celui-ci affirmait que la chute du pouvoir soviétique était inéluctable : il se disait prêt à se consacrer entièrement à préparer cet événement, qui serait l'affaire la plus importante de sa vie. Il préconisait d'intensifier la prop~gande, le terrorisme et les sabotages. Le résumé de cette lettre, soumis à Dzerjinski, avait scellé le sort de Reilly : « Tant que ce scélérat sera en vie, il ne laissera point en paix le peuple soviétique. » Pour mettre la main sur un homme aussi intelligent, rusé et expérimenté que Reilly, il fallait d'abord gagner la confiance de Bounakov. Le hasard, encore une fois, servit Iakouchev. Bounakov avait un frère, Boris Bounakov, qui 9. Ma vie d'espion, p. 225.
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