152 espionnage, le Guépéou voulait faire du Trust leur unique source d'informations sur !'U.R.S.S. Pour neutraliser les Estoniens et !'Intelligence Service qui les. manipulaient, Roman Birk avait . réussi à persuader le gouvernement. de Reval que les émissaires de l'état-major ne valaient rien et ·se faisaient immanquablement capturer en Russie. Le gouvernement avait donc décidé de centraliser le travail au ministère des Affaires étrangères, où Birk pouvait le surveiller tout ' . a son aise. Quant aux Polonais, on employa un autre stratagème. Iakouchev se rendit à Reval, y convoqua d'urgence le colonel Talikowski et lui annonça qu'un de ses collaborateurs importants s'était présenté à l'ambassade soviétique à Varsovie en offrant, moyennant 300.000 dollars, de livrer le Trust, puissante organisation contrerévolutionnaire. On l'avait, naturellement, mis à la porte : · - Mais je vous le demande, cher ami, comment estil possible de nous fier à vos collaborateurs et émissaires si, parmi eux, il y a des provocateurs et maîtreschanteurs? Comment pouvons-nous satisfaire vos demandes de renseignements en mettant nos hommes constamment en danger de mort ? Talikowski, bouleversé, lui fit savoir, quelque temps plus tard, que son collaborateur en question « avait cessé de vivre ». Depuis le sacrifice de cette innocente victime des manigances du Guépéou, la confiance des Polonais en Iakouchev n'avait plus de bornes. Un tel aménagement des contacts avec les services de renseignements estonien et polonais permettait à Potapov de procéder à leur intoxication systématique. Jouant à la perfection le rôle d'un garde-blanc, il parvint même à leur donner l'impression qu'il minimisait à dessein la capacité de combat de l'Armée rouge, ce qui leur fit croire qu'en cas de conflit celle-ci serait un adversaire redoutable. Les appétits des Polonais et des Estoniens étant ainsi jugulés, il restait à s'entendre avec la Finlande. La situation sur la frontière finnosoviétique inquiéta~t le .Guépéou. Voici comment la décrit, quarante ans après, un journal soviétique spécialement chargé d'inciter les émigrés à rentrer légalement en U.R.S.S. : A cette époque, toute la frontière dans l'isthme de Carélie grouillait d'agents de renseignements des services français, angl~is et américains. Très souvent, ces agents étaient des officiers de l'ancienne armée tsariste qui croyaient très sincèrement accomplir ainsi leur devoir sacré envers la patrie. Froidement, ils risquaient leur vie en franchissant la frontière par ordre de leurs « chefs blancs » (•..). On trouvait aussi parmi eux des scélérats qui voyaient le salut de leur pays dans « la pendaison de tous les bolchéviks et de leurs collaborateurs « (Golos rodiny, Berlin, n° 27 de 1964). BibliotecaGino Bianco / LE CONTRAT SOCIAL Le Guépéou aspirait à canaliser et à surveiller cette intense circulation d'agents·. Une « fenêtre » sur cette frontière, si proche de Léningrad, devenait indispensable. En· 1924, le Trust chargea Mm~ Zakhartchenko, nièce du général Koutiépov, et son mari Radkévitch, des pourparlers avec les Finlandais à ce sujet. Tous deux partirent pour Moscou en automne de 1923 pour vérifier la sincérité du Trust. Ce couple d'antibolchéviks confirmés, anciens combattants de la guerre civile, fut d'abord très soupçonneux. Mais, adroitement manipulés par Iakouchev et Zoubov, ils furent vite domestiqués. On les avait confiés à Staunitz. Comme ce dernier, ils devinrent des admirateurs sincères du Trust. A Helsinki, ils prirent contact av.ecMalberg, chef du Deuxième Bureau finlandais, et avec le capitaine Ruzenstrem, commandant de la garde-frontière du secteur de Vyborg. Il fut· convenu que la liaison épistolaire passerait par Roman Birk à Reval. La « fenêtre » fut ouverte au printemps de 1925. Elle devait jouer un rôle important dans le travail du Trust. MALGRÉ le demi-échec auprès de Wrangel, le voyage de Iakouchev et de Potapov avait réussi. Dorénavant, le Trust était en contact avec toutes les organisations d'émigrés monarchistes et avec les services de renseignements étrangers qui les épaulaient. On avait foi en lui, car l'existence d'une puissante organisation antibolchéviste à l'intérieur de la · Russie était le rêve le plus cher de tous les ennemis du pouvoir soviétique. · · Dzerjinski et ses collaborateurs comprenaient parfaitement· cette mentalité. Ils assignèrent alors au Trust les tâches· suivantes : Assujettir l'opinion publique monarchiste, lui inculquer la conviction que le terrorisme et les sabotages sont nuisibles à sa cause ; discréditer l'idée de l'intervention armée, la convaincre que l'essentiel, c'est la contre-rév.olution à l'intérieur de la Russie, c'est-à-dire le Trust, tandis que l'émigration ne peut jouer qu'un rôle auxiliaire. Il fallait aussi alimenter l'émigration en sujets de démêlés politiques, en suscitant des discussions sur des thèmes tels que l'inutilité des catégories sociales, la réforme agraire, la nationalisation de l'industrie, l'impossibilité pour les propriétaires terriens de rentrer dans leurs domaines, le choix du candidat au trône, les visées bonapartistes de Wrangel et les démêlés entre lui et Koutiépov (p. 170). Ce programme fut mené à bien. L'émigration blanche, déchirée par les querelles intestines, n'était plus capable d'un ·effort sérieux. Seule la R.O.V.S. de Koutiépov envoyait encore quel- . ques terroristes en Russie. S'ils arrivaient par les filières du Trust, ils étaient immédiatement
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