E. DEL/MARS blague! Qui parmi les Romanov peut être choisi? Tous, sans exception aucune, sont des nullités pommées. Pour moi, il n'y a qu'une solution : Piotr Nicolaïévitch Wrangel! Iakouchev voulait présenter, au nom du Trust, des objections à ce choix. Chez von Lampe, le lendemain, 7 août 1923, il trouva le général Klimovitch, V.V. Choulguine et l'exsénateur Tchébychev, réunis pour entendre son exposé sur la situation en Russie. Cette fois, il avait devant lui des gens expérimentés, intelligents et rusés. Il lui fallait donc être particulièrement prudent dans son exposé, qui dura deux heures. Klimovitch ne lui posa qu'une seule question : - Comment une organisation clandestine aussi nombreuse que le Trust réussit-elle à échapper aux poursuites du Guépéou, dont une expérience amère nous a appris la force et l'astuce ? La riposte de Iakouchev fut immédiate : - Comment pouvez-vous penser, Messieurs, que la guerre civile, la famine et la nep n'aient pas semé en Russie la désillusion et le scepticisme à l'égard de la révolution? Ne vous en offensez pas, mais vous semblez raisonner comme la souris de la fable : « Il n'y a pas de fauve plus fort que le chat ! » Ce chat nous a appris beaucoup de choses, notamment l'art de la conspiration. Nous avons des hommes à nous à tous les échelons des services soviétiques. Ainsi avons-nous la possibilité de parer les coups. Nous espérons nous entendre avec les états-majors de nos voisins, notamment avec la Pologne. Pour l'Estonie, c'est déjà fait. Ses dirigeants ont reconnu notre force. Notre liaison avec nos représentants à Reval, que vous connaissez, est parfaitement organisée. Un poste pour le passage clandestin de la frontière, une « fenêtre », fonctionne déjà. Je dois enfin vous dire que vivant ici, à Berlin, il est difficile de se rendre compte de ce qui se passe à Moscou et en Russie. Après un long silence, von Lampe leva la séance et remercia le « cher visiteur » pour son exposé~ lakouchev parti, Tchébychev s'écria : « Messieurs, cet homme est très dangereux. Sori Trust n'est qu'une imposture du Guépéou. » Mais il était seul de son avis (pp. 120-21). Les organisations rivales d'émigrés s'espionnaient mutuellement et Markov avait appris le contact de Iakouchev avec Klimovitch, son ennemi juré. Or le Trust devait ménager à la fois l'O.R.A. de Wrangel et le V.M.S., afin d'avoir un pied dans les deux camps. Iakouchev manœuvra admirablement. Il partit pour Paris avec un faux passeport au nom de Fédorov, porteur à la fois de lettres de recommandation de Markov pour le prince Obolenski et le comte Hendrikov, acolytes du grand-duc Nicolas, et de celles de von Lampe pour les généraux HoJmsen et Miller, représentants de Wrangel à Paris. Biblioteca Gino Bianco 149 Déjà prévenu en faveur de Iakouchev par Arapov, le général Holmsen le reçut fort bien. Il annonça à Iakouchev que le grand-duc Nicolas s'intéressait à lui et lui accorderait une audience. Voici un extrait du compte rendu de cette entrevue qui figure dans les archives du Guépéou : « J'ai été reçu à la villa du comte Tychkévitch, où habite le grand-duc. L'entrevue a duré trois heures, en présence de Holmsen. J'ai déclaré au grand-duc que la M.O.Tz.R. était prête à le suivre et se mettait entièrement à sa disposition. Il a répondu, comme s'il récitait une leçon apprise par cœur : " Pour me mettre à la tête du mouvement, il me faut avoir l'adhésion de toute la Russie et non pas seulement celle des émigrés. C'est alors seulement que je pourrai consacrer mes forces au rétablissement de la légalité et de l'ordre. " Malgré cette af.éirmation, on m'avait informé par ailleurs que la grande-duchesse, sa femme, avait déjà ordonné à la princesse Golitsine, maîtresse de la cour, de tenir les valises prêtes. Sur un ton de rude franchise, j'ai déclaré : - Votre Altesse est pour nous un atout énorme, mais cet atout est le dernier. Il faut le ménager, car il n'y a plus rien pour le remplacer. On ne doit pas risquer de le compromettre. Or, il existe un danger d'intervention prématurée de la part des émigrés... - Personne ne me convaincra d'intervenir trop tôt. Je dois être appelé par la Russie tout entière. Votre appel est le premier qui me soit parvenu du pays. Si toute la Russie me désire, alors... - Mais Markov exige de moi de fixer la date du soulèvement et insiste sur la nécessité de reconnaître le grand-duc Dmitri Pavlovitch comme votre suppléant. Le grand-duc se fâcha : - Encore ce vieux barbon avec son éternel rabâchage ! Je ne l'écouterai pas, je ne prendrai avec moi aucun de mes parents. Dans notre conseil de famille, nous avons décidé que tous les Romanov doivent se tenir tranquilles et se conduire convenablement. Dmitri Pavlovitch? Mais ce n'est qu'un coureur de jupons ! Quel tsar peut-il faire ? Le fils de Piotr Nicolaïévitch, Roman Pétrovitch ? Mais il a une voix qui piaille ! Est-il bon pour faire un tsar ? Quant à Cyrille. Vladimirovitch, personne ne le prend au sérieux. Son aventure a complètement échoué. De plus, depuis sa noyade 5, il a un tic nerveux. Quel beau tsar, qui va grimacer et se contorsionner comme un pantin! J'ai exposé mon projet d'action, en soulignant constamment la nécessité de s'opposer aux soulèvements et troubles irréfléchis sur les confins de la Russie, afin de préserver toutes nos forces pour l'heure H. - C'est parfait, mais ne comptez pas sur l'armée Wrangel. Vous avez vos propres forces. C'est vous le front, nous ne sommes que l'arrière. Il faut s'entendre avec les puissances étrangères et avec les financiers. Pour tous ces pourparlers, Kokovtsev est parfait. J'ai atfirmé que la Russie doit être dirigée par ceux qu1 y ont vécu toutes ces années troubles. Nous, nous ne prétendons pas prendre tous les postes de 5. Officier de marine, ll se trouvait à bord du cuirassé Pltropavlovsk qui sauta sur une mine Jnponnlse Je 31 mars 1904. Il fut repêché quelques heures plus tard.
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