Le Contrat Social - anno X - n. 3 - mag.-giu. 1966

G. ARONSON correspondaient absolument plus au culte de Staline tel qu'il était maintenant pratiqué ; on peut même dire qu'elles étaient franchement hors de saison. Les recherches « historiques » de Vorochilov retardaient impudemment sur les exigences de l'heure. En effet, depuis la victoire dans la guerre mondiale, ·s'offrait pour le généralissime la possibilité non seulement d'affirmer que la République soviétique lui devait, à lui personnellement, les succès de la guerre civile, mais que, fort de son génie militaire, il avait organisé la défense de Tsaritsyne, et que ses talents de grand capitaine s'étaient manifestés pleinement dès 1918-19. Qui plus est (et cela a pu jouer un rôle considérable dans sa conduite), il avait là l'occasion de prouver définitivement et de manière irrévocable que ce n'était pas Trotski, dont le nom fut étroitement lié à celui de Lénine, mais bien lui, Staline, qui était l'uniquè et incontestable compagnon d' armes et l'héritier de Lénine. Dans son Précis d'histoire du"Parti (1938), Staline avait déjà usurpé la révolution d'Octobre en effaçant jusqu'au nom de Trotski. Les procès de Moscou devaient prouver que Trotski ainsi que d'autres fondateurs de !'U.R.S.S. et des idéologues éminents du mouvement communiste étaient des espions au service de puissances étrangères. Dans la biographie de Staline rédigée par ledit « collectif » et d~ns plusieurs ouvrages « historiques » publiés après la deuxième guerre mondiale, il apparaît rétr~- spectivement que, dès 1918-19, Trotski, l'organisateur de l' Armée rouge, était en réalité un traître ; Staline, grâce à son génie, avait défendu Tsaritsyne et remporté la victoire dans la guerre civile, en luttant non seulement contre Krasnov et Dénikine, mais contre Trotski ~t ses créatures. Staline n'eut qu'à faire un signe pour que, sur le large front de la science historique, de la littérature et de l'art, se déclenchât cette opération de falsification pour la plus grande gloire du dictateur. Examinons de plus près quelques aspects de cette honorable • entrepnse. Voici en quels termes les biographes qualifiaient les mérites de Staline dans la défense de Tsaritsyne : La réunion dans une seule tête de la perspicacité du chef politique et des talents du chef de guerre permirent à Staline de discerner le rôle de Tsaritsyne en tant que plaque tournante de la contre-révolution... Après avoir, d'une main de fer, nettoyé la ville des conjurés gardes-blancs et des spécialistes contre-révolutionnaircs envoyés et soutenus par Trotski, Staline, par des mesures rapides et d~sives, réorganisa les détachements disperRs, hita l'arrivée des unités de Biblioteca Gino Bianco 143 Vorochilov... La volonté de fer et la géniale sagacité de Staline sauvèrent Tsaritsyne et empêchèrent les Blancs de s'ouvrir un passage vers Moscou 1 • La Grande Encyclopédie Soviétique (]e volume où il est question de la défense de Tsaritsyne parut en 1947) s'emploie presque exclusivement à démasquer Trotski, en tant qu'antagoniste de Staline : Pendant l'été de 1918, la situation de Tsaritsyne devint encore plus grave. Le travail perfide des gens placés par Trotski à l'état-major militaire se faisait déjà nettement sentir. Etant donnée l'énorme importance de Tsaritsyne, le Parti y envoya J. V. Staline. Embusqués dans les organes de ravitaillement, s.-r., menchéviks et trotskistes se livraient au sabotage. Avant l'arrivée de Staline, Tsaritsyne ne ressemblait guère à une ville soviétique : les espions et les saboteurs y trouvaient refuge. A l'état-major de la région militaire du Caucase-Nord siégeaient des ennemis du peuple, des créatures du traître Trotski... Au moment du plus grand péril pour Tsaritsyne, le traître Trotski tenta de désorganiser la direction du front assurée par Staline et Vorochilov. Il envoya à Tsaritsyne des agents à lui dans le genre d'Alexêiev, lequel fut. démasqué en temps voulu par Staline et fusillé. L'officier Moldavski tenta en septembre de provoquer une mutinerie à Tsaritsyne. Cependant, les préparatifs du soulèvement furent décelés à temps et étouffés dans l'œuf par Staline. Plus loin encore, on souligne le sens de l'action de Staline et du même coup de sa lutte contre le «. traître » Trotski : Les méthodes de travail de Staline transformèrent Tsaritsyne en un « Verdun rouge >> inexpugnable. Sous la direction de Staline, à Tsaritsyne se développa le travail de création de !'Armée rouge. Le 20 octobre, Staline partit pour Moscou. Mais de Moscou également, par ligne directe, il ne cessait de diriger la défense de Tsaritsyne 8 • Dans cette œuvre de glorification personnelle et pour rétablir la vérité « historique » sur la défense de Tsaritsyne, la littérature fut également appelée à la rescousse. Cette fois, la tâche fut confiée à Constantin Fédine, et il n'était naturellement pas question pour lui de décliner l'honneur qui lui était fait. Dans son roman Un été extraordinaire (qui parut d'abord en 1947 dans la revue Novy Mir, puis en volume en 1949), C. Fédine trouva, conformément aux exigences du culte, les. mots justes pour louer le génie militaire de Staline : Moscou reconnut que Tsaritsyne était le centre militaire-stratégique soviétique le plus important. A partir de juillet, c'est Staline qui dirigea la défense. Ce n'est pas seulement le courage des défenseurs de la révolution qui arrêta les Cosaques. Les atamans se heurtèrent ici pour la première fois à un art nouveau de la manœuvre militaire et du feu. L'histoire enregistra la naissance d'un art révolutionnaire de la conduite des 7. J. V. Staline, pp.72-73. 8. Grande Encr,clo~die Soviétique (titre nb~gé : G.E.S.), 1,. éd., pp. 628-631.

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