Le Contrat Social - anno X - n. 3 - mag.-giu. 1966

142 nine, la défense de la ville contre les troupes de Krasnov 1 • • , Trois ans plus tard, dans une brève notice de la Petite Encyclopédie Soviétique consacrée aux événements du secteur de Tsaritsyne, nous lisons: • Des combats acharnés pour la· possession de la ville furent livrés en 1918-19; plusieurs attaques des Blancs furent repoussées par les unités rouges sous le com mandement de K. E. Vorochilov. Le 30 juin 1919, Stalingrad fut occupé par les soldats de Dénikine; la débâcle des Blancs sur le front sud libéra Stalingrad le 25 décembre 1919 2 • C'est seulement dans la biographie de Staline que ladite Petite Encyclopédie Soviétique pour cette même année 1930 tente de rattacher au nom de Staline « une série de brillantes victoires de la République soviétique dans la lutte avec la contre-révolution et l'intervention étrangère », en ajoutant toutefois, ce qui a son importance, que « pendant la guerre civile, Staline était l'un des dirigeants de l 'Armée rouge » 3 • Deux hommes s'assignèrent bientôt pour tâche de réparer l'injustice historique qui consistait à méconnaître le génie militaire de Staline : son compagnon d'armes Vorochilov et le « comte prolétaire » Alexis N. Tolstoï. Cela se passait en 19 3 7, pendant la période des procès de Moscou où la vieille garde bolchéviste tout entière fut impitoyablement liquidée. A ce moment, Staline avait déjà atteint le pouvoir suprême, dictatorial, autocratique, et ·Klim Vorochilov, l'un de ses familiers, et !'écrivain A. N. Tolstoï, qui avait toutes ses faveurs en qualité de courtisan flagorneur, entreprirent de créer le mythe d'un Staline éminent chef de guerre. Dans son opuscule Staline et !'Armée rouge, Vorochilov, commissaire du peuple à la Défense, admettait sans le faire exprès que « l'importance de· Staline, en tant que l'un des plus remarquables organisateurs des victoires de la guerre civile, avait été_jusqu'à un certain pojnt , , ., ' .. meconnue, non encore apprec1ee a sa Juste valeur » ". Aussi Vorochilov s'efforçait-il, dans son ouvrage « historique », de combler cette « lacune ». C'est le même problème que cherchait à résoudre Alexis Tolstoï, également en 1937, mais par d'autres moyens, cette fois artistiques. Dans son roman Le Pain, le héros principal est Staline : celui-ci est à tout moment en rap1. I. Tovstoukha : Staline (courte biographie), 1927, p. 13. 2. Petite Encyclopédie Soviétique, t. 8,-1930. 3. Ibid. 4. K. Vorochilov : Staline et l'Armée rouge, 1937. I BibliotecaGino Bianco LE CONTRAT SOCIAL port avec Lénine pendant la défense de Tsaritsyne, il s'oppose aux ordres donnés par Trotski, il dévoile les machinations de ce dernier, bref, il apparaît comme l'âme des opérations militaires : Staline ne quittait pas les tranchées,· dirigeant de là l'envoi des réserves, l'acheminement des munitions, l'expédition d'un nouveau train blindé armé de canons qui venaient· d'être récupérés sur l'ennemi 5 • · Quant à Vorochilov, il était relégué au rôl~ de sous-ordre de Staline. Telle était, en 1937, l'image de Staline sur le plan militaire. . MAIS il n'y a que le premier pas qui coûte. Dix ans plus tard, l'image a pris des proportions véritablement homériques. . Le mythe de Staline grand capitaine prend racine, et qui plus est, il devient obligatoire pour l'historiographie soviétique. Rien d'étonnant à cela. Entre-temps s'est déroulée la deuxième guerre mondiale, à l'issue de laquelle Staline a partagé les lauriers de la victoire avec Roosevelt et Churchill. La légende du génie de Staline, en particulier de ses dons militaires, franchit les frontières de !'U.R.S.S. et se répand dans le monde entier. Le 24 juin 1945, Staline, commandant en chef suprême, préside le défilé de la victoire sur la place Rouge de Moscou. Le 26 juin, le maréchal Staline reçoit plusieurs décorations ainsi qu_e le titre de Héros de l'Union soviétique, et le 27 juin il est nommé généralissime. Un « collectif » composé de six écrivains soviétiques, chargé de rédiger la biographie du dictateur au zénith de sa gloire, s'emploie à expliquer l'immense contribution de Staline à la science et à l'art militaires et, sans sourciller, met en lumière le génie stalinien qui a fécondé « le caractère créateur, l'originalité de la conception » des ·opérations militaires menées sous la direction de Staline 6 • Il est fort ~aturel qu'à l'issue de la deuxième guerre mondiale la cohorte des flatteurs ait senti la nécessité de combler de manière radicalement différente une « lacune >> de la biographie de Staline se rapportant à la guerre civile, ce que Vorochilov avait signalé dès 1937. Mais en 1946-47, les vagues allusions de Vorochilov suivant lesquelles pendant la guerre civile quelqu'un avait pu se permettre d' « éclipser » le génie militaire de Staline (ne serait-ce pas Trotski ?), ou de sous-estimer avec préméditation ses .mérites militaires, ne 5. A. N. Tolstoi : Le Pain, 1937. 6. G. Alexandrov, M. Galaktionov. M. Mitine, P. Pospiélov, etc. : J. V. Staline, 1947, pp. 222, 232 et passim.

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