Le Contrat Social - anno X - n. 3 - mag.-giu. 1966

STALINE, GRAND CAPITAINE par Grégoire Aronson L'ANNÉE 1925 fut décisive dans l'ascension de Staline. Comme on le sait, après la mort de Lénine, il ne se trouva dans le parti communiste aucun homme qui égalât celui-ci en influence et en prestige ; aussi se constitua-t-il un triumvirat temporaire en la personne de Zinoviev, ·Kamenev et Staline. A l'intérieur de la troïka dirigeante se déroulait une lutte acharnée. Pour maintenir l'équilibre, les triumvirs devaient se faire des concessions mutuelles. C'est ainsi que Staline obtint, le 10 avril 1925, que Tsaritsyne soit rebaptisé Stalingrad, donnant par là naissance au mythe de ses mérites militaires et de son génie de stratège dans la guerre civile. Au demeurant, dans les premières années du régime, on se mit à donner le nom des grands chefs à des institutions, usines, rues, villes et villages. Non seulement la ville fondée par Pierre le Grand reçut le nom de Lénine après la mort de celui-ci, mais Gatchina devint Trotsk, puis Elisabethgrad - Zinovievsk, bientôt suivis de Perm rebaptisé Molotov, de Lougansk - désormais Vorochilovgrad, etc. Or, il était de plus en plus difficile de maintenir l'équilibre dans la troïka dirigeante. Staline, secrétaire général du Parti, employa l'année 1925 à mettre en place des gens sûrs et dévoués à sa personne, à prendre fermement en main « l'appareil » du Parti. Lors de la convocation du XIVe Congrès en décembre 1925, il avait déjà, par petites étapes, tout préparé en vue de son élévation personnelle. Après avoir écarté Zinoviev et Kamenev, il présenta au Congrès le rapport politique du Comité central. Le compte rendu sténographique de ce congrès trié sur le volet, autrement dit composé en majorité de créatures du secréBiblioteca Gino Bianco taire général, relate que lorsque Staline monta à la tribune, il fut salué par des « applaudissements frénétiques et prolongés, tournant à l'ovation. Tout le monde se lève. » Quand Staline eut terminé son exposé, la scène se renouvela crescendo : « Applaudissements enthousiastes, interminables. Ovation. Tout le monde se lève. On chante l'Internationale. » Les contemporains remarquent que Lénine luimême n'avait pas droit à pareilles ovations. C'est le moment où se répandit l'anecdote, attribuée à Boukharine, sur l'évolution des formes sociales à travers l'histoire : au début était le matriarcat, puis vint le patriarcat, enfin, et pour longtemps, le secrétariat ... L'âpre lutte à l'intérieur du Parti - avec l'opposition de gauche et Trotski, les rivalités des diverses fractions, à l'occasion desquelles Staline déploya ses talents d'intrigue, la liquidation progressive de la nep - tout cela empêchait le nouveau patron de donner sa mesure, l'obligeait à user de circonspection, de retenue. Plus tard, il s'appropriera l'héritage de Lénine, il s'attribuera - après en avoir dépossédé Trotski - les droits d'auteur sur la révolution d'Octobre, il se mettra sur le même plan ·que Marx en qualité de « théoricien », il ravira les lauriers du vainqueur dans la guerre civile, etc. Toujours est-il que lorsque I. Tovstoukha, membre du Secrétariat, publiait en 1927 une courte biographie de Staline, il mentionnait de façon discrète et concise le rôle joué par ce dernier dans la guerre civile : Le temps de la guerre civile, Staline ra passé essentiellement sur les fronts. En 1918 (au printemps et en été), Staline travaille sur le front de Tsaritsyne où il organise, conjointement avec Vorochilov et Mi~

RkJQdWJsaXNoZXIy MTExMDY2NQ==