140 libre provisoire, une sorte de loi agraire qui juxtapose au collectivisme agricole une part limitée de propriété privée. Rien ne permet de croire que ce compromis ne sera pas modifié, ni de prévoir en quel sens se feront les changements. Il n'est pas exclu que les paysans, d'ores et déjà un peu moins pressurés, puissent reprendre conscience de leur force, réclamer de nouvelles franchises partielles, récupérer un peu plus d'autonomie locale, politique ou religieuse. Mais ne pouvons-nous envisager l'avenir que dans la perspective d'une lente libéralisation ? La réponse à cette question suppose une dernière remarque. A CHEVON s DE PARCOURIR le cercle pour revenir devant une réalité des plus troublantes. Si la pire déchéance, pour une classe sociale, est de se sentir engagée dans un processus d'extinction, c'est aux Etats-Unis que les paysans en tant que corps vivent leur crépuscule. Non qu'ils soient le moins du monde persécutés ou brimés, ni qu'on veuille leur contester leur part de la prospérité générale, mais parce que la machine les rend de plus en plus inutiles. Dans un pays où les produits agricoles sont toujours en large excédent, il y a maintenant un paysan exploitant sur trente personnes ; notre Occident emboîte le pas : la France par exemple, vieux pays agricole, qui se flattait au début de ce siècle d'être encore en majorité rural, con1pte maintenant un paysan sur six personnes. Une fois de plus, les faits ont étonnamment démenti les prévisions du bon sens. Il était courant d'annoncer que la rationalisation technique et l'automation allaient réduire au chômage nombre d'ouvriers et d'employés, mais sans que les cultivateurs fussent le moins du monde menacés. C'est exactement le contraire qui s'est produit : l'industrie et le commerce assurent toujours le plein emploi tandis que la campagne moderne évince la main-d'œuvre classique et encourage puissamment l'exode. On dit qu'il n'y a pas de raisons, et d'ailleurs pas de moyens efficaces, de s'opposer à ce mouvement naturel, qu'aucune volonté mau- / Biblioteca Gi. o Bianco LE CONTRAT SOCIAL vaise ne fomente, qui n'entrave pas la marche vers l'abondance, voire vers le luxe. Mais, outre que l'exténuation de la classe paysanne dans certains pays peut soulever bien des questions angoissantes, il n'est pas prouvé qu'une politique despotique ne puisse utiliser à certaines fins cette évolution en la dirigeant et en l'accélérant. Déjà, d'audacieux technocrates ont découvert que pour combattre la misère en certains continents, par exemple dans l'Amérique latine, il serait indispensable de regrouper des populations clairsemées et arriérées, de les rassembler sur des terres fertiles où l'emploi intensif des machines deviendrait possible. Voilà qui est peut-être fort judicieux, mais qui ne voit que ces excellentes visées impliquent le recours à des méthodes autoritaires, autant dire à des transferts obligatoires de populations ? Cela étant, il ne reste plus qu'à supposer un nouveau Staline, un autre Mao qui, arguant d'intentions aussi pures, ou bien dédaignant de s'en expliquer, imposerait des déportations massives destinées à fournir la main-d'œuvre à des travaux publics, des programmes industriels ou des programmes militaires, la mécanisation de·s campagnes assurant un rendement suffisant et • retirant aux paysans l'arme efficace qui -leur a permis de se défendre. Rien, cette fois, ne pourrait les préserver de l'esclavage intégral. Il y a quelques dizaines de milliers d'années, l'invention de l'agriculture et de l'élevage condamnait à disparaître les tribus de chasseurs · dont nous savons par l'art rupestre qu'ils possédaient une sorte de civilisation originale. Aujourd'hui, le cours de l'histoire s'étant fantastiquement accéléré, assistons-nous au déclin général, et d'abord dans les pays les plus industrialisés, de la classe des petits paysans exploitants, l'agriculture se transformant en une industrie de plus en plus technicisée ? Si oui, ce ne serait pas la moindre des révolutions qui s'accomplissent à grande allure autour de nous et il en faudrait concurremment accuser le communisme et la machine, la seconde fournissant au premier le moyen de réaliser tous ses desseins et de malaxer la pâte humaine comme une simple matière première vouée à la passivité. LÉON EMERY. ,
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