Le Contrat Social - anno X - n. 3 - mag.-giu. 1966

L. EMERY • tation des facilités offertes à la mainmise de l'Etat. Il y a bien des raisons de penser que le communisme russe évolue non pas certes vers un régime de liberté politique, mais vers une lourde technocratie où l'idolâtrie de la science et de la machine remplacera celle du chef génial en un anonymat toujours ritualisé. S 'ENGAGER dans la verbeuse logomachie qui oppose Pékin à Moscou, ce serait perdre son temps, mais il n'en est pas moins vrai que de sérieuses différences, nées de~ circonstances et des tactiques révolutionnaires qu'elles ont imposées, · sont apparues dans le comportement des deux grands Etats communistes. En U.R.S.S., Lénine et Trotski ont dû, partant des villes et surtout des deux capitales, arracher la campagne aux Blancs : les ouvriers · furent leur troupe de choc ; l'industrialisation, le problème qu'ils mirent constamment au premier plan. Mao ·Tsé-toung, au contraire, se rallia d'abord· les paysans, abominablement pillés et malmenés par les brigands et les soldats qui leur ressemblaient fort. C'est avec des troupes . recrutées dans les villages qu'il put isoler et faire tomber les villes où les féodaux, les bourgeois et les officiers de Tchang Kaï-chek tinrent assez longtemps. Mao lui-même se donnait volontiers pour un paysan; en tout cas, il passa pendant des années pour un réaliste, pour un communiste modéré, soucieux de laisser d'abord se reconstituer le réseau des villages. Son empire paraissait n'avoir pas d'autre ambition que de vivre en fidèle second sous l'égide de la Russie sta~ linienne, laquelle d'ailleurs ne se faisait pas faute d'en coloniser certaines zones vitales. · · Mais lorsque le Parti eut partout disposé le filet serré des. cadres, mis au point le système de la dictature monolithique, vint le moment de la mégalomanie et du grand bond en avant, c'est-à-dire de l'effort inhumain imposé à un peuple d'esclaves pour le contraindre à brûler les étapes. On a tellement décrit ces années folles qu'il est superflu d'y revenir, sinon pour rappeler les extravagances les plus incroyables : l'instauration, qui dura peu, pe la métallurgie domestique, et l'expérience, beaucoup plus prolongée, des communes populaires. Impossible de mieux montrer q_u'encette institution comment un peuple entier, le plus nombreux qui soit sur terre, peut être enfermé dans l'ergastule ; que la réglementation ait été poussée jusqu'aux rapports sexuels des époux, Biblioteca Gino Bianco 139 cela souligne combien une politique esclavagiste se confond avec les pratiques d'un éleveur, et que l'homme n'est décidément rien de plus qu'une bête de somme et de reproduction, conditionnée par la peur et la propagande. Enregistrons avec soulagement le fait que cette utopie à rebours n'a pu durer, la démonstration corroborant absolument celle qui avait été apportée par le stalinisme. Tenons pour acquises ces deux servitudes objectives : le communisme total imposé au monde paysan, c'est l'esclavage ; l'esclavage, c'est la sous-production alimentaire, la disette ou la famine. La commune populaire chinoise engendra les mêmes conséquences que le kolkhoze stalinien, en sorte que, sous peine de catastrophe, on dut promptement se résigner à l'abandonner. L'empirisme a dicté là aussi des· formules mixtes qui en. somme ont laissé partiellement revivre, quoique sous une stricte surveillance et dans la soumission à un planisme général, la vie traditionnelle du village, amputée toutefois de ses cultes anciens. La remontée a été non moins spectaculaire que la descente puisque la Chine émerge de la disette, puisqu'elle réussit maintenant à nourrir ses habitants, bien que ce soit dans la pauvreté et au prix d'un labeur incessant ; si c'est un résultat remarquable, mettonsle à l'actif de la modération relative, non de la rigueur doctrinale et de l'écrasante tyrannie du Parti. Par rapport à l'Union soviétique subsiste d'ailleurs, et sans doute pour longtemps, une différence très importante. La Russie, nous l'avons dit, peut conserver l'espoir de mécaniser à fond son agriculture ; sur ce terrain, il est évident que· 1a Chine ne la saurait suivre, car sa puissance industrielle, relativement modeste, doit être mise en entier au service de certains plans d'urgence parmi lesquels il est clair que vient en tête celui de l'armement nucléaire. Longtemps encore l'agriculture chinoise ne disposera que d'une énorme main-d'œuvre et de moyens techniques très proches de ceux qui, dans tous les pays, ont été utilisés depuis des millénaires. C'est donc une économie agricole d'un style retardataire ou presque statique qui nous est ainsi présentée, mais en restera-t-elle là ? Nous avons vu les paysans russes et chinois, auxquels il faudrait adjoindre les Polonais, les Hongrois, les Roumains, remporter des victoires sans éclat, mais d'une grande portée, par la mise en œuvre de ce que nous pourrions appeler en termes d'histoire sociale une longue grève perlée, un sabotage par mauvais vouloir instinctif. Il en est résulté presque partout une position d'équi-

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