Le Contrat Social - anno X - n. 3 - mag.-giu. 1966

138 mière. Alors s'étendirent jacqueries et dépré- _dations jusqu'au moment où les bolchéviks qui venaient de s'emparer des deux capitales se hâtèrent, pour se rallier la campagne, d'ordonner le partage des terres au bénéfice de qui les travaillait. Soudaine et radicale loi agraire, dictée non par la doctrine mais par la stratégie révolutionnaire et qui, du jour au lendemain, en des conditions d'improvisation assez confuses qui pour quelque temps faisaient de la commune un soviet de paysans, provoquèrent l'apparition d'une classe très nombreuse de petits propriétaires fonciers. Les circonstances propres à la période du communisme de guerre étaient si atroces que l'expérience commença fort mal, compromise qu'elle fut par les remous de la guerre civile, la désorganisation générale des transports et de l'industrie, l'anéantissement de la clientèle bourgeoise et seigneuriale. Les intempéries et la sécheresse se mettant de la partie, on ne peut s'étonner qu'il ait fallu rouler jusque dans la plus tragique famine. C'était sans doute payer bien cher la brusque mutation des campagnes; on n'en est que plus frappé de voir avec quelle rapidité s'opéra la remontée sous la double influence du retour à l'ordre et de la nep. Quelques années à peine se sont écoulées et voici que l'agriculture donnant des signes de prospérité, on voit se multiplier· les propriétaires moyens redevenus assez riches pour être à même d'acheter les parcelles des malchanceux et même de prendre ces derniers à leur service en tant que salariés agricoles. La contre-révolution se généralise si vite, les procédures classiques renaissent si aisément, qu'on pressent déjà la victoire d'une société thermidorienne, l'écroulement du régime soviétique qui d'ailleurs n'est plus que celui de la dictature du Parti. Pour empêcher à tout prix ce qui serait pour lui. une faillite, Staline décrète l'extermination des « koulaks » et la collectivisation forcée des campagnes. Nous ne reprendrons pas l'histoire, aujourd'hui assez bien connue, · de cet épouvantable épisode; nous voulons simplement traduire en clair ce qu'elle démontre, c'est-à-dire la nécessité où l'on se trouve, quand on veut intégrer la classe paysanne dans le bloc compact d'un communisme totalitaire, de la réduire absolument à l'esclavage. Rien de plus sinistrement éclairant que la parfaite similitude entre la grande épreuve subie par les paysans russes du fait de la guerre et celle que leur infligea Staline : dans un cas comme dans l'autre, ce furent les mêmes réquisitions impitoyables, les mêmes déportations, la même soumission aux plus lourdes peines et finalement Biblioteca G( o Bianco LE CONTRAT SOCIAL les mêmes hécatombes. S'il est vrai, comme le soutiennent certains historiens, que la grande opération stalinienne aurait en pleine paix coûté à la Russie dix millions de morts, il faudrait même la dire deux fois plus meurtrière que la première guerr~ mondiale. Tant que régna la terreur, on n'entendit monter au-dessus des troupeaux d'esclaves que les flagorneries officielles et obligatoires proférées par les hommes du Parti ; mais après la mort du despote un coin du voile fut soulevé. Il fallut bien reconnaître que les esclaves avaient eu recours à un moyen de défense immémorial - cause du fait bien connu que le travail servile est toujours d'un médiocre rendement, - à une sourde grève instinctive qui devient décisive à la longue puisqu'elle menace le ravitaillement des villes. La situation de l'agriculture était catastrophique ; comme · on n'y pouvait remédier en aggravant l'oppression, dont on avait atteint la limite, il ne restait qu'à s'engager dans la voie des concessions. Khrouchtchev s'y décida, non par doctrine car personnellement il rêvait des agrovilles, mais parce que la force des choses l'emportait sur lui_et sur tous les autres. Bien que toujours astreints dans les entreprises étatiques à des - corvées qui dépassent de beaucoup celles de f ère féodale, les paysans ont donc, en d'étroites limites, récupéré le droit de s'adonner à l'exploitation privée, d'être de petits propriétaires. On peut également dire que c'est peu et que c'est énorme; on ne peut savoir dans quelle mesure le glissement continuera, ni si· les progrès matériels de la nouvelle classe retentiront sur la condition des campagnes. Ne soyons pas dupes cependant des faux parallélismes ; sans doute, il est déjà stupéfiant d'apprendre que la production sur les lopins de terre consentis à l'économie familiale et privée compte pour moitié dans la production agricole totale - .et voilà qui en ,dit long - mais il ·ne s'ensuit pas qu'on doive voir renaître rapidement une classe de koulaks comme ati temps de la première nep. Bien ou mal, une étape irréversible a été franchie lorsqu'on s'est fié à la mécanisation du travail des champs ; on n'en est plus à compter les bévues et les déboires enregistrés dans la gestion ou l'emploi des parcs de tracteurs et autres machines, mais l'impulsion n'en est pas moins donnée, telle étant désormais la base de là véritable révolution agraire. Comme partout, il en résultera une diminution du nombre des paysans au bénéfice des ingénieurs, des technocrates et des bureaucrates, mais aussi, et en plus, l'augmen-

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