• ., ' . LES PAYSANS ET LE COMMUNISME par Léon En1ery Nous DEVRIONS nous étonner tous les jours, et toujours plus. Cela non seulement en raison des prouesses réalisées dans les industries de pointe; parmi lesquelles l'exploration spatiale constitue pour le moment le suprême degré, mais à cause de certaines révolutions continues auxquelles nous ne prêtons que peu d'attention, soit parce qu'elles sont invisibles, soit au contraire parce qu'elles se déroulent sans arrêt sous nos yeux et se résorbent ainsi dans le quotidien. Pour nous en tenir à la vie du monde paysan, deux faits au moins devraient nous paraître dignes de retenir les spéculations des sociologues : d'une part, et tandis que dans les pays sous-développés la terre nourrit avarement une population famélique, la classe paysanne peut être dite en voie d'extinction dans les nations les mieux équipées, là où l'agriculture est désormais une des industries les plus fortement mécanisées ; de l'autre, démentant les prévisions marxistes qui par avance attribuent aux masses ouvrières des grandes villes le rôle majeur dans la révolution à faire, ce sont les paysans russes et chinois, par action ou réaction, impulsion ou résistance, qui ont marqué de leur empreinte les gigantesques événements sociaux dont nous continuons à être les spectateurs. On voit mal la liaison entre ces phénomènes, mais peut-être se révélera-t-elle si nous savons regarder les ensembles. Jus Qu' AU DÉBUT de ce siècle, il parut évident, les choses étant ainsi depuis le néolithique, que l'humanité ne pouvait étre que terrienne dans la proportion des_trois quarts, sinon des neuf dixièmes ; 1~espace utile appar- ,/ Biblioteca Gi, o Bi~nco tenait aux labours, aux herbages, aux forêts et à tous ceux qui en vivaient directement, les centres où se groupaient ateliers et marchés ne constituant par contre que des îlots. De cette structure, qu'on pouvait croire permanente et définitive, naissaient bien des traits d'une rare fixité qu'Hésiode, l'un des premiers, dessina fermement. Nous n'en retiendrons que quelques-uns, parmi les plus importants. ' On pourrait d'abord imaginer la société paysanne avec son maximum d'autonomie, telle qu'on nous l'a décrite en Chine, telle qu'elle fut certainement partout avant qu'ait été renforcée l'armature sociale. L'unité de base ne pouvait être que le village, ce qui exclut naturellement l'individualisme intégral, ce qui suppose une sorte de communisme agraire, étant bien entendu que ce communisme traditionnel ne pouvait être que patriarcal, coutumier et mitigé. Il faisait force de loi lorsqu'il s'agissait de fixer le calendrier des travaux ou de répartir certaines récoltes, mais il n'interdisait nullement la possession privée de la maison, de quelque~ animaux et de certains produits du ·sol. Un· équilibre empirique entre l'organisation collective et l'instinct acharné du propriétaire n'était donc pas utopique ; il exprimait au contraire une sorte de sagesse ou de physique des sociétés. Certes, l'autonomie locale fut rarement complète ou prolongée, d'autres autorités s'y superposèrent, mais chaque fois qu'elles laissèrent subsister les partages fondamentaux elles furent assez facilement acceptées. L'empereur d~ Chine régna souvent sans heurts parce que ni lui ni ses préfets ne s'occupaient beaucoup de l'existence du village ; à la fin du monde romain, le colonat parut rationnel parce que, s'il liait l'homme à la glèbe, il lui ga-
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