D. ANINE voir, personne (du moins parmi les dirigeants en vue) n'y croyait à l'époque. Beaucoup plus tard, 1. G. Tsérételli, l'un des principaux inspirateurs et leaders de la révolution de Février, devait reconnaître que la véritable cause de l'échec de cette dernière devait être cherchée dans l'état d'esprit de ses dirigeants, incapables de comprendre que « le principal danger pour la liberté se trouvait à gauche » 6 • Cette mentalité conservatrice, fondée sur un attachement dogmatique aux schémas du passé, se manifesta également au cours des années 20 lorsque, après la mort de Lénine, ses épigones ouvrirent la grande querelle concernant les voies à suivre ·et les dangers à éviter. Suivant la tradition, c'est du côté d'un éventuel Thermidor ou d'un possible Bonaparte que l'on craignait de voir surgir une menace pour le pouvoir soviétique. Un nouveau Thermidor, dans ce cas, signifiait le déclin de la ferveur révolutionnaire et la réapparition des partis bourgeois et petits-bourgeois. De même, un nouveau Bonaparte apparaissait comme un général politiquement ambitieux qui tenterait de profiter des dissensions internes du Parti et de l'affaiblissement du pouvoir central pour s'emparer des rênes et s'imposer au pays. Par analogie avec la Révolution française, on cherchait les nouveaux thermidoriens et les aspirants au rôle de Bonaparte à l'intérieur du parti communiste et dans l 'Armée rouge. Trotski, par exemple, observait avec méfiance des bolchéviks aussi inoffensifs que Rykov ou Kalinine ;· pour lui, ils représentaient les intérêts des paysans et, dès lors, pouvaient .être soupçonnés de vouloir instaurer un régime petit-bourgeois. D'autres voyaient se profiler l'ombre d'un Bonaparte non seulement en la personne de l'an6. Ts~rételll : Vospominaniia o févralskol révolioutsii (Souvenirs sur la révolution de Février), vol. Il, Editions Mouton & Co, p. 408. Biblioteca Gino Bianco 135 den chef de l'Armée rouge, Trotski, mais aussi en celle de Toukhatchevski et même de Vorochilov, la médiocrité incarnée. Comme les dirigeants de la révolution de Février, les leaders des diverses fractions bolchévistes ont été incapables de faire la distinction entre dangers imaginaires et dangers réels et d'apprécier ceux-ci à leur juste valeur. Ils craignaient une bourgeoisie qui, en fait, avait cessé d'exister. Ils imaginaient un nouveau Thermidor et un nouveau Bonaparte, mais ne prêtèrent pas suffisamment d'attention à la menace que représentaient Staline et sa dictature totalitaire, car le totalitarisme ne figur~it point dans les schémas déterministes traditionnels. Experts en formules sacro-saintes et en clichés, passés maîtres dans l'art de manipuler les fantômes du passé, ils ne surent pas comprendre la réalité nouvelle qui se formait sous leurs yeux. Bien entendu, ces exemples, que l'on pourrait multiplier, ne signifient aucunement que la connaissance de l'histoire soit un handica1J pour les hommes d'action. Au contraire, o~ pourrait citer bien des cas où la connaissance du passé historique a prévenu des erreurs qui auraient pu être fatales. La signification des exemples qui précèdent est, semble-t-il, tout autre : les révolutions, comme tous les événements historiques, ne se répètent pas nécessairen1ent, car elles sont uniques en leur genre. Elles ne se déroulent point suivant des lois établies à l'avance, elles ne se laissent point enfermer dans des schémas préfabriqués. Ce sont des hommes vivants qui font les révolutions, avec tout ce que cela comporte de hasard et d'inconnu. C'est pourquoi il est impossible de prévoir le destin des révolutions, leur développement ou leur aboutissement. DAVID A~HNE. (Traduit du russe)
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