B. SOUVARINE dans le préambule du discours secret. Encore en juillet 1953, pour le cinquantenairè du bolchévisme, le Comité central répudie le « culte » pour exalter le principe de la direction collective. Et l'on a trop oublié qu'avant son discours secret, Khrouchtchev avait présenté le 14 février au Congrès le traditionnel « Rapport du Comité central » qui, entre autres, dénonce le « culte » sans nommer Staline, mais sans que personne puisse s'y méprendre. Il est donc faux que la condamnation du « culte » soit due à l'initiative soudaine de Mikoïan sur laquelle Khrouchtchev aurait surenchéri dans une sorte d'émulation personnelle. Cette soviétologie pitoyable, dégénérée en kremlinologie burlesque, et d'ailleurs puisée chez un « kremlinologue » de sac et de corde, méconnaît les données élémentaires de la vie soviétique, y compris les conditions très strictes où se déroule un congrès communiste conformément aux directives du Présidium, lequel répartit les rôles, chapitre les orateurs, règle les travaux dans tous leurs détails 4 • Parmi les condamnations du « culte » ayant précédé le discours secret, il y eut encore celle de Pankratova, humble professeur d'histoire humblement soumise aux instructions du Secrétariat. Après quoi seulement Khrouchtchév prononça le réquisitoire qui fit époque, citant une trentaine de documents secrets tirés des archives pléthoriques du Parti, tandis que dixhuit autres pièces annexes, imprimées d'avance, étaient distribuées aux congressistes. Une telle sélection n'a pu s'improviser en vertu d'une opération magique 5 • Le 30 juin 1956, le Comité central adoptait une résolution disant : « Depuis maintenant plus de trois ans, notre parti a mené une lutte énergique contre le culte de la personne de Staline... » Au XXIIe Congrès, le 21 octobre 1961, Mikoïan va déclarer : « L'orientation idéologique du XXe Congrès n'est pas apparue à la veille de ce congrès ni au cours de ses quelques ;ournées.· Elle a été élaborée pendant les deux ans qui l'ont précédée, par l'examen critique de certaines positions, la transformation du travail pratique du Parti et de l'Etat, la liquidation des séquelles néfastes du culte de la personnalité. » Sur ce point, aucun observateur compétent et consciencieux ne saurait contredire les paroles officielles. Mikoïan parle ensuite des désaccords qui divisaient le Comité central 4. Cf. • Kremlinologie •1. ln Contrat ,ocial, septembre 1958, Janvter 1959 et man 11159. 5. Cf. • Le, archives entr'ouvcrtes •• ln Preuve11, n° 66, Pari,, aoQt t 958. Biblioteca Gino Bianco 3 sur des questions essentielles, suscitant de longues luttes intestines, et qui prouvent aussi que Khrouchtchev n'a jamais dirigé seul. D'autres preuves ne cesseront de s'accumuler, jusqu'à l'éviction finale de Khrouchtchev par ceux que la soviétologie chez la portière, largement subventionnée par la Rand Corporation des ~Etats-Unis, désignait doctement comme ses , ; ; « proteges » ou ses « creatures ». Avant d'en venir au discours secret à proprement parler, il importait donc. de faire justice des sophismes dange~eux qui en ~auss~nt les circonstances et en denaturent les implications multiples. Car depuis bientôt un demisiècle les leaders du monde occidental pour ' ; la plupart se trompent ou sont trompes sans cesse sur les réalités soviétiques. Au début, ils o~t cru que Lénine et Trotski étaient des « agents allemands » épisodi1~es ?ont l'a~ti~n ne laisserait pas trace dans 1 histoire ! pws ~s ont vu en Staline un personnage rassis, assagi, acceptable, contrastant avec un Tro~ski ~donné à la révolution permanente ; ensuite ils ont pensé que Staline s'entendrait volontie~s avec les démocraties pacifiques pour tenir Hitler en respect. Quand leur cher Stalin~, acoqu_iné à Hitler refusa d'entendre leurs avis au suJet de l'agres~ion allemande imminente, ils le prirent néanmoins pour un champion de la liberté sous prétexte que son complice l'avait attaqué en traître ; après quoi ils virent en lui un grand stratège, une sorte de génie, l'hitléri~~e n'étant vaincu pourtant que par une coalition mondiale ; ils lui livrèrent la moitié de l'Europe et de l'Asie lui firent confiance pour assurer un avenir r~dieux aux Nations Unies. Ils se laissèrent conter qu'il avait créé de toutes pièces dans une Russie désertique, une économie pr~spère en voie de surpasser la c!vilisati,~n atlantique. A sa mort, ce fut tout Juste s ils ne portèrent pas le deuil de leur ennemi morte!. Pour comble d'inconséquence, ils ont admis ultérieurement que Staline méditait d'entre- . . ' prendre une guerre atomique,_ contraire~~nt a ses successeurs épris de coexistence pacifique. Et quand enfin l'oligarchie communiste, par la voix de Khrouchtchev, jugea nécessaire d'avouer certaines vérités utiles au camouflage et à la survie des principaux mensonges inhérents au régime, ils ne surent ni s'en ,~nstruire. ni adopter de sérieuses méthodes d information pour l'avenir. Le champ resta libre à un~ sovi~- tologie de cuistres, voire à une kremlinologie de fabulateurs sans scrupules. Bientôt le discours secret s'estompa dans l'oubli, d'où il faut bien le sortir à l'occasion de son dixième anni- . versatre.
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