Le Contrat Social - anno IX - n. 6 - nov.-dic. 1965

Débats et recherches ... DÉMOCRATIE ET TECHNIQUE par Simone Pétrement I 0 N DIT que la notion occidentale de démocratie implique la légitimité d'une opposition et les limites au bon plaisir des gouvernants, même élus. C'est vrai, mais il ne s'agit pas seulement de la notion « occidentale » de démocratie ; il s'agit de la vraie notion de démocratie, de souveraineté populaire, telle qu'elle a été définie dans le livre qui l'a mise en honneur, le Contrat social de Jean-Jacques Rousseau. Si l'on n'accepte pas les raisonnements de Rousseau, peut-être n'y a-t-il guère de raisons de louer la démocratie ; si on les accepte, il faut savoir quelles conditions ils imposent. Il semble bien qu'il n'y ait pas d'erreur dans le Contrat social, mais il ne faut pas négliger ce qui s'y trouve dit le plus clairement et le plus souvent. Rousseau va jusqu'à affirmer que ce qui fait la volonté générale, c'est moins le nombre des voix que l'objet général sur lequel porte la discussion. Si l'on prend garde à ces conditions, le sens du mot « démocratie » tel qu'on l'entend communément est bien le sens juste. Démocratie, c'est bien liberté, pour les savants comme pour le peuple. Cela ne s'oppose à la liberté que pour les demi-savants qui oublient telles conditions sans lesquelles il n'y aurait pas de démocratie, ou du moins sans lesquelles la démocratie ne serait pas un régime mieux fondé en droit que tout autre. Le même homme qui a fait considérer la démocratie comme la justice l'a fait reposer sur une base telle qu'elle ne pût nuire à la liberté. Quand Rousseau dit (ce qui parait d'abord si utopique) que la volonté générale est toujours droite, c'est-à-dire bien intentionnée, il a, en fin de compte, raison. Mais il faut voir quelles Biblioteca Gino Bianco conditions il met à ce qu'il y ait une volonté générale. Non seulement il ne se fie guère, comme on sait, qu'aux petits Etats, où tout est clair, où chacun peut connaître les problèmes, où l'assemblée du peuple peut gouverner directement (et non par représentants) ; mais surtout il veut des assemblées bien réglées, ne s'occupant que des questions qui regardent tout le peuple, et_ d'où toutes les affaires personnelles et tous les cas particuliers sont exclus. C'est là le fondement de sa confiance. Les adversaires de la démocratie ont toujours dédaigné de le voir. Ils ne cessent de dire que les foules sont déraisonnables, aveugles, qu'elles font souvent tout le contraire de ce qu'elles souhaitent, qu'elles s'écrasent et se détruisent elles-mêmes en voulant se sauver. C'est vrai, mais une foule n'est pas une assemblée. Une foule n'est qu'une réunion de corps, pour ainsi dire ; chacun y est seul. Une foule n'est pas un spectacle pour elle-même ; de là vient que les droits de l'autre y sont foulés aux pieds. Mais une assemblée est un spectacle pour ellemême. Pour sentir la différence entre une foule •et une assemblée, il suffit de considérer les droits du faible, les droits de l'enfant par exemple. Un enfant peut être écrasé dans une foule ; au contraire, où est-il plus en sûreté que dans une assemblée ? Est-il plus en sûreté quand il est seul, à la merci d'une mauvaise rencontre, quand il traverse un bois par exemple, que lorsqu'il est au milieu de tous, au milieu d'une assemblée qui se voit elle-même ? Qui oserait commettre une injustice ou la soutenir devant tous ? Si la volonté générale n'est pas droite, qu'est-ce qui sera droit ? On peut colorer l'injustice en justice devant l'assemblée ; cela signifie que la volonté générale peut être trompée, comme Rousseau le reconnaît, mais dans ses intentions, elle est droite. En outre, il n'est pas toujours facile de la tromper. Car le propre de l'assemblée est de

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