Le Contrat Social - anno IX - n. 6 - nov.-dic. 1965

372 « la conférence de Bandoeng » 1er mai 1955. LA CONFÉRENCE dite « afro-asiatique », qui a siégé à Bandoeng (Java) du 18 au 24 avril, suscite un débordement de commentaires insensés dans la presse occidentale. Avant, pendant et après, les informations fallacieuses et les interprétations trompeuses ont abondé pour donner au public une idée fausse de l'événement et des vues inquiétantes sur ses conséquences. Il semble que toutes les occasions soient bonnes pour entretenir l'alarme universelle et renforcer le prestige des ennemis déclarés de l'Occident démocratique. Le Monde diplomatique, par exemple, supplément au Monde quotidien, proclame sur quatre colonnes (dans son numéro d'avril) que « plus de la moitié de la population du globe sera représentée à la conférence afro-asiatique de Bandoeng ». Il y a là de quoi impressionner le lecteur moyen des pays de taille moyenne qui ne comptent pas leur population par centaines de millions d'âmes. Mais à y regarder de plus près, il devient évident que les participants à la conférence ne « représentaient » à proprement parler que les milieux dirigeants de leurs pays respectifs. Il n'est pas vrai que les délégations parlaient au nom de « plus de la moitié de la population du monde, c'est-à-dire environ un milliard deux cent cinquante millions d'hommes », comme le prétend cet article du Monde. Pour commencer, le gouvernement de l'Indonésie, initiateur de la réunion, ne représente nullement les 80 millions d'individus qui peuplent les îles : il représente un clan de poli- . . . ; . . , t1c1ens acoquines aux co1nmun1stes qu1 n ose pas, depuis des années, procéder à des élections et qui ne se maintient au pouvoir que par la violence, au moyen d'une police imitée de la Tchéka soviétique. Et à qui fera-t-on croire que le gouvernement de Pékin, instauré par des opérations militaires et qui ne s'est jamais risqué à la moindre consultation électorale, représente les 600 millions de Chinois figurant sur le tableau des pays « représentés >> à Bandoeng ? Il représente le parti et l'armée qui ont vaincu le Kuomintang et conquis la Chine, soit 10 à 20 millions de têtes, plus un certain nombre de suiveurs impossible à chiffrer, mais aucunement les 600 millions des statistiques. Un Nehru représente pius ou moins la majorité de la population de l'Inde, qui d'ailleurs n'a jamais donné son avis sur les questions B'iblioteca Gino Biarico ANNIVERSAIRES débattues à Bandoeng. Mais un Nasser ne représente qu'une clique militaire d'Egypte, issue d'un coup d'Etat, et non les millions de fellahs de la vallée du Nil. Et il ne serait guère sérieux de mettre sur le même plan des gouvernements comme ceux de la Turquie ou du Japon et des autocrates comme ceux de l'Arabie ou du Yémen:' L'initiative suspecte de l'Indonésie appuyée par les quatre autres Etats du « groupe de Colombo » dont deux, l'Inde et la Birmanie, se disent neutralistes et sont par conséquent complaisants aux communistes, cette iniua~ive tendait à coordonner et à stimuler diverses sortes d'hostilités envers le monde occidental. Elle con1portait une part de risques, comme toute première tentative de ce genre et de telle ampleur, mais de risques mineurs n'impliquant " aucun danger pour les puissances totalitaires. L'avantage certain était de manifester un semblant de solidarité entre une trentaine d'Etats excluant les démocraties ci-devant colonialistes ou impérialistes ; de participer sous. un nouveau camouflage à la propagande soviétique de coexistence et de paix mensongères ; d'influencer les Etats musulmans ou plus ou moins arabes que l'alliance atlantique s'efforce de mettre en garde contre le communisme ; enfin, d'ébaucher une expérience dont les leçons doivent profiter aux meneurs du jeu. Et, en effet, on a pu voir les risques, mais biens limités, quand le porte-parole de Ceylan a dénoncé le colonialisme soviétique. Il a fallu un « Asiatique » pour faire entendre les vérités qu'aucun Occidental n'ose prononcer. Mais le discours du ministre cinghalais sera sans lendemain si les puissances mises en accusation à Bandoeng restent passives et muettes dans la guerre froide. En revanche, les communistes ont réussi à tirer de la conférence le meilleur parti possible. Il ·n'est pas question de l'U.R.S.S. dans la résolution finale. Le Chinois a eu le premier rôle à Bandoeng comme à Genève, progressant vers la reconnaissance générale de son gouvernement et l'admission de celui-ci .aux Nations Unies. L'unanimité s'est faite contre la France et contre Israël, ce qui rend la paix impossible en Afrique du Nord et au Proche-Orient. Enfin, ~ l'état-major politique de Moscou, invisible mais présent' à Bandoeng sous la forme chinoise, saura désormais comment s'y prendre pour obtenir de meilieurs résultats la fois suivante. Telles sont les réalités qu'obscurcissent les correspondances pittoresques ou tapageuses d'une presse inconsciente. B. S.

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