• Anniversaires DE IALTA A BANDOENG EN CETTE ANNÉE1965 tombaient le vingtième anniversaire de la conférence de Ialta (février 1945) et le dixième anniversaire de la conférence de Bandoeng (avril 1955). Sur ces deux événements de très inégale importance, le public occidental a été constamment trompé par des politiciens au-dessous de leur tâche, par des publicistes sans scrupules et par des propagandistes sans aveu. Alors comme de nos jours, il était impossible de faire entendre la vérité urbi et orbi ; les rares tentatives à cet effet durent s'exprimer par d'infimes moyens de fortune n'atteignant qu'une poignée de lecteurs. Aussi nous paraît-il opportun de reproduire ci-après, sans y rien changer, trois articles de B. Souvarine parus en leur temps dans un bulletin ronéotypé de faible diffusion et qui traitaient des réalités de Ialta à dix ans de distance, des fictions de Bandoeng au lendemain de cette kermesse. Ce sera une façon comme uqe autre de commenter les deux anniversaires. Il n'y a pas nn mot de vrai dans la légende, répandue plus spécialement en France, d'une conspiration soviéto-américaine pour le « partage du monde » et l'instauration d'une « double hégémonie » sur le monde ainsi partagé. La conférence de Crimée, comme on disait à l'époque, n'a affecté que des frontières en Europe orientale alors que la position et l'avance des armées soviétiques créaient déjà une situation de fait . que Roosevelt, chevaucheur de nuées, s'avérait incapable de remettre en question, tandis que Churchill, impuissant à contrecarrer sur ce chapitre les desseins de Staline, se croyait tenu de souscrire aux utopies de Roosevelt en échange de maigres compensations illusoires. Ce n'était d'ailleurs pas une raison, après Ialta, pour renoncer à tenir Staline en respect dans certaines limites, pour sacrifier notamment la Pologne et la Roumanie, les Baltes et les Tchèques, quitte à protéger in extremis la Turquie et la Grèce. Quant à la « double hégémonie » résultant de- la conférence, elle est manifestement inventée après coup pour les· besoins d'une très mauvaise cause· : personne encore n'avait remarqué la moindre hégémonie américaine en Europe, ni en Asie, ni en Afrique, cependant que l'hégémonie soviétique s'étalait au grand jour sur les pays abandonnés à leur triste sort tant par la France que par les Etats-Unis et par l'Angleterre. II est particulièrement absurde, en· outre, de laisser entendre qu'une participation éventuelle de la France à la conférence de Crimée, inadmissible aux yeux de BjbHoteca Gino Bianco \ Staline, eût pu modifier en quelque mesure le cours de l'histoire contemporaine. La France meurtrie, à peine délivrée des Allemands par les armées angloaméricaines, ne pouvait aucunement prétendre au rôle de « puissance dirigeante » et rien n'autorise personne à croire que, présente à Ialta, elle eût refusé en principe à Staline ce que lui accordaient en pratique les Etats-Unis et l'Angleterre, Au contraire, la suite des événements a démontré que tous les dirigeants français ont partagé les illusions impardonnables et les erreurs irréparables de Roosevelt et de Churchill envers l'impérialisme soviétique. Encore moins en France qu'ailleurs, sauf en Italie, le malheureux « peuple souverain » n'ést éclairé sur le communisme de Staline et de ses successeurs, par la faute des pouvoirs publics et des élites décadentes. Le << peuple souverain » n'a guère été mieux renseigné sur la conférence de Bandoeng, que des publications charlatanesques n'ont pas craint de caractériser comme un « tournant » (sic) de l'histoire. Ce rassemblement pittoresque ne fut que mise en scène fantasmagorique abritant des palabres et de piètres intrigues sans autres lendemains que de sanglants conflits entre la Chine et l'Inde, entre l'Indonésie et la Malaisie, entre l'Inde et le Pakistan, entre Etats arabes et pseudo-arabes, tous . ayant proclamé -les mêmes dix « principes » creux et sonores. A de rares exceptions près, les participants ne savaient que singer les pires · défauts de « l'Occident pourri ». Sir John Kotelawala, premier ministre de Ceylan bien oublié aujourd'hui, eut le mérite d'y dénoncer « un type nouveau de colonialisme en Europe orientale, le colonialisme soviétique », mais seuls les délégués de la Turquie et du Liban, de l'Irak ·et des Philippines, osèrent l'approuver, cependant que Nehru argua que « la question ne figurait pas à l'ordre du jour » et que Tchou En-lai couvrit diligemment la Russie soviétique dont, à cette date, il défendait encore les intérêt coloniaux et autt'es - - comme ceux de la Chine impérialiste. Le misérable fiasco des ,tentatives récentes de réunir à Alger une deuxième conférence dite « afro-asiatique » à dix ans d'intervalle dispense d'insister, pour l'heure. Remarquons seulement que le Monde, après avoir abusé ses lecteurs pendant ces dix années au sujet de Bandoeng, de « l'esprit de Bandoeng » et autres billevesées, a eu le toupet d'intituler son éditorial du 3 novembre : « La fin d'un mythe ». Qui donc ayait forgé ce mythe?
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