B. SOUVARINE le geste. L'exclusion du Parti entraînait la privation de chambre, et ce, dans la Moscou de 1924· où la crise du logement atteignait un point dont nul ne saurait avoir une idée ; mais dès l'hiver les Sérébriakov me donnèrent leur amicale hospitalité, à la russe.) Trotski et ses partisans ont soupçonné Radek d'avoir incité Blumkine, retour de Prinkipo où il avait confabulé en secret avec Trotski, à se confesser au Guépéou qui le fusilla d'urgence ; mais selon l'interprétation favorable qui vaut bien celle des détracteurs, Radek aurait au contraire cru sortir Blumkine d'un mauvais pas en lui conseillant de prendre les devants pour démontrer son loyalisme. Plus épineuse et difficile se pose la question du rôle de Radek dans le « procès en sorcellerie » de janvier 19 3 7 où, du banc des accusés, le premier, il prononça le nom de Toukhatchevski. Seule source disponible en cette matière, le compte rendu officiel n'autorise personne à juger ni à choisir entre les diverses hypothèses plausibles. Quant à Unschlicht, il était en quelque sorte l'antithèse de Radek froid, taciturne, fermé, aussi peu communicatif que possible, bien dans son rôle de tchékiste en chef. Au vrai, je n'ai eu affaire à lui qu'à la Loubianka, quand je tentais d'intervenir en faveur d'un prisonnier politique, ce qui était très mal vu. Son accueil correct et glacial dissimulait à peine un certain mépris envers le camarade sentimental incapable, à ses yeux, de comprendre les cruelles nécessités de la guerre civile. Une seule fois, de mon terrips, on l'a vu au Comintern, en 1923, lors de la réunion du Présidium « élargi » où fut décidé d'entreprendre la révolution en Allemagne. C'était aussi la première fois que Staline et Dzerjinski participaient à nos délibérations : l'appareil de l'Etat soviétique allait peser de tout son poids dans cette partie décisive et par conséquent aux services secrets incombait un rôle essentiel. Mais ce sera là une page spéciale de la future histoire du Comintern. Ayant mentionné Bronski entre autres amis du or Goldenberg que j'eus l'avantage de fréquenter, il me faut 1c1 lui consacrer quelques ~ots bien que son travail ne participât point directement à la vie de l'Internationale. Il avait fait ses études supérieures en Allemagne et, tout jeune membre du parti social-démocrate de Pologne et de Lithuanie, milité dans son pays pendant la révolution de 1905, ce qui lui valut de longs mois de prison. Libéré, il se rendit en Suisse où il prit part assidûment à l'action du parti sodaBiblioteca Gino Bianco 351 liste à Zurich, tout en appartenant au groupe social-démocrate polonais. Pendant la guerre de 1914, il se rangea derrière Lénine dans la « gauche de Zimmerwald », fut délégué à la conférence de Kienthal et rallia la Russie en 1917. Après la révolution d'Octobre, il assuma les plus hautes fonctions ::lans les organes économiques de l'Etat, fut « élu » au Comité exécutif des Soviets, devint ambassadeur à Vienne, puis membre de l'Académie communiste et professeur d'économie politique à l'université de Moscou. Un homme aussi cultivé, courtois, irréprochable, ne pouvait s'attirer que l'animadversion meurtrière du despote. Je n'ai fait que côtoyer les autres Polonais du Comité exécutif ou délégués à nos congrès, sauf à collaborer souvent avec Proukhniak quand il séjournait à Moscou (il faisait fréquemment la navette entre Moscou et Varsovie). De Proukhniak, homme sérieux et terne, je ne puis rien dire, sinon qu'il s'identifiait avec son parti au point que l'assassinat de l'un et la dissolution de l'autre répondent à une certaine logique inexorable du paranoïaque capable de les décréter. Lapinski, homme affable et économiste « distingué », était installé à demeure à Berlin où il dirigeait avec la plus haute compétence un office de documentation, d'observation et d'information indispensable au pouvoir soviétique. De tous les dirigeants et militants du communisme polonais anéantis par Staline, il serait indécent de prononcer la moindre défense, à moins d'admettre qu'une ombre de justification puisse exister ;.en théorie dans les pratiques atroces de leur bourreau. Mais cela s'applique de même aux autres victimes mentionnées dans le nécrologe. Racovski, comme Radek et Unschlicht, doit être finalement rangé parmi les Russes et les Ukrainiens, bien que Roumain et Bulgare d'origine, puis Français de culture. Il était un des principaux leaders de l'Internationale tant que Lénine a vécu. Ensui te relégué dans la diplomatie, il devait succomber dans le carnage entrepris par Staline pour se débarrasser de tous les collaborateurs de Lénine et de Trotski afin de pouvoir pactiser avec Hitler sans que personne n'objecte. Les communistes français de la première heure qui eurent en Racovski un ami, un aîné, un exemple de désintéressement et de valeur, ne peuvent sans émotion évoquer son souvenir. Je ne . saurais personnellement exprimer le sentiment d'horreur et de dégoût que m'inspire le tyran abject qui a jeté aux bêtes féroces du Guépéou la
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