350 parce qu'il voyait en eux un obstacle à son accord éventuel avec Hitler. Comment des Polonais normaux auraient-ils pu envisager le dépècement de leur pays et la suppression de leur existence nationale comme prix de cet accord visant à détruire la civilisation traditionnelle? J'ai plus particulièrement fréquenté Varski ~·( et Bronski, amis du Dr Jacques Goldenberg qui était membre de notre parti en France, ainsi que Valetski qui fut mêlé de près aux affaires communistes françaises par mandat du Comintern. Originaires de la Pologne russifiée, ils ne se différenciaient en rien des Russes de culture cosmopolite et leurs séjours prolongés en France et en Suisse les familiarisaient avec le socialisme occidental. Le sympathique Dr Goldenberg, installé de longue date à Paris et mobilisé dans l'armée "française comme médecin-major pendant la· guerre, fut le premier trait d'union entre ses ·amis polonais et ··les jeunes communistes français. . ~ . . ', Varski, l'un des fondatéurs ,du pàrr,i ·.soèialdémocrate en Pologne, proéhe· compagnon de Rosa Luxembourg, théoricien et 1eader de son parti qu'il a représenté dans· maints congrès russes et internationaux, figure r~spectée eritre toutes, apparemment invulnérable, perdit la r~tson quand Staline le· fit soudain jeter en prison : il ·y avait de qu~L Valetski, lui~ venait de l'ancien parti socialiste· ·polonais dont il' gagna l'aile .gauche au communisme; homme d'esprit et de tale~t, il se plaisait en compagnie des Français dont il possédait la langue dans toutes les fines.s_esI.l a péri comme Pinf!)rtuné Varski sans savoir pourquoi ni comment et, ainsi que nombre de ses camarades, dans les pires soùffrances·· morales et physiques. Quand il est question de prison soviétique sous Staline, il faut un très grand effort d'imagination pour en concevoir les conditions épouvantables, propres à briser le ressort de tout individu tant soit peu· s~nsible.' . On ne souligner~-jamais assez que « prison » ou « camp >~, en l'espèce, sont syno~ymes de terreur et de torture, Je ne.puis penser sans profonde émotion au sort .de Véra Kochtcheva et d'Henri Brandt, tous deux livrés aux tortionnaires du Guépéou comme tant d'autres individus d'élite. Tout en prenant garde de ne pas réserver ma compassion à ceux que les circonstances m'ont per~is. de mieux connaître, comment se défendre de personnaliser un malheur -collectif ? Véra ~ochtcheva incarnait ce_qu'il y avait de ----~I'• . ,. 1 p. •·· • On ·adopte 'ici la transcription des nom~ slaves e11 français selon la règle enseignée à l'&ole nationale des Langues orientales vivantes,' l'orthographe polonaise. ne correspondant pas à ·notre phonétique, ·• · .,,· Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL meilleur dans cette génération de militants' dévoués au salut des exploités et des opprimés. alliant la séduction de l'intelligence à la délicatesse féminine ·et à un courage viril. Brandt, mathématicien réputé, de conversatioµ éblouissante, s'était pris de passion pour la renaissance de l'industrie soviétique à laquelle il travaillait aux côtés de Piatakov. Leurs noms se présentent sous la rubrique « Pologne », mais ils parlaient si couramment le français et le russe qu'il ne nous venait pas à l'idée de les considérer comme Polonais. D'ailleurs, ces distinctions nationales n'existaient guère entre nous, à cette époque, entre gens de même tournure d'esprit et de même raison d'être. Il fallut Staline pour introduire des nationalismes et des chauvinismes odieux dans ce qui fut, avant lui, l'Internationale communiste. De même, Radek et Unschliéht n'étaient pas, dans nos milieüx, regardés_.comme Polonais : ils apparten.aient entièremènt au parti bolchévik et à l'Etat soviétique. ·Rade~, avec Zinoviev et Boukhariné, ~aisait ·partie de la troïka qui dirigeait effectivement en permanence le Comintern, par dêlégation du parti communiste au pouvoir (Lénin~. et Trot~ki en suivaient les affaires de très près, mais n'intervenaient directement qu'en certaines circonstances). ·Il savait peu de français, nous nous entretenions' en russe, il posait beaucoup '"de questions, précisément parce qu'il n'avait ·sur la France· que des notions livresques, et il plaisantait à tout propos, conform·ément à sa réputation justifiée d'anecdotier et de calembouriste. Sa fin· lamentable~n'incite pas à évoquer les joyeusetés de sa carrière étonnante. Sa verve satirique et ses sarcasmes peu .c. haritables lui avaient valu bien des inimitiés qui se sont traduites en suspicions, en. allusions malveillantes sur_,son compte. Dans la mesure où mon modeste avis peut. être de quelque poids en l' espè- ·ce, ·je ne confirmerai pas les versions hostiles. En 1923, passant. par Berlin, j'eus_ avec Radek un entretien. au cours duquel il me fit part de .ses inquiétudes au 'sujét d~ ·conflit qui dressait déjà le Politburo de Mosco'=1contre Trotski. Pour conclure, il résuma la situation et exprima un vœu en ces termes : « Enfin, ils sont huit contre un, espérons qu'ils se feront ainsi équilibre .et continueront de travailler ensemble.'» Ce n'était pas là une attitude d'opposition ni d'intrigue. Quand le ye Congrès. ·· m'exclut du ·Parti en ·1924, Radek fut le seul qui, songeant à mon· dénuement, et portant la main à sa poche, me demanda : « N~avez-vous pas besoin d'argent? » · (Je pus me tirer d~~ffairc;$an$ son aide, mais je n'ai pas oublié
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