COMMENTAIRES SUR «LE MARTYROLOGE~ par B. Souvarine TOUTE LA VÉRITÉ ne sera probablement jamais dite sur le massacre des communistes accompli sous Staline. Il importe cependant que les rares survivants de ceux qui prirent part à la direction de la 3e Internationale au temps de Lénine contribuent à la dire, au moins dans la mesure où les conditions vécues le permettent. Ce que se proposent les commentaires qui suiv~nt. Les socialistes, les syndicalistes, les anarchistes, les pacifistes qui avaient répondu affirmativement aux appels de Lénine pour devenir des communistes dans les années troubles consécutives à la guerre de 1914-18, ces militants d'origines diverses et d'idées disparates ne professaient nullement la doctrine cohérente, systématique, du fondateur de l'Internationale communiste. Ils en ignoraient même l'essentiel, élaboré au cours des vingt premières années du siècle. Ils étaient mus par un sentiment d'opposition humanitaire à la guerre en cours, forme suprême de violence homicide, et, contradictoirement, par un élan d'admiration envers la révolution soviétique, donc d'approbation d'une guerre civile non moins cruelle et inhumaine, mais dont ils n'avaient qu'une idée très vague. De cette confusion initiale devaient découler nombre de conflits, de crises et de ruptures. Mais la sincérité, la bonne volonté de ces ralliés de la première heure, leur dévouement à une cause respectable ne font aucun doute, à quelques rares exceptions près, celles de cyniques ou de parasites comme il s'en trouve dans tous les mouvements politiques. Aussi la plupart des premiers dirigeants communistes internationaux sont-ils devenus bient6t dissidents, les uns proprio motu, les autres malgré eux, après la mort de Lénine. Ceux qui surent, Biblioteca Gino Bianco ou purent, ou durent pour divers motifs s'adapter au « marxisme-léninisme » des épigones eurent affaire à Staline quand celui-ci entreprit de façonner une Internationale à sa dévotion absolue en instrument aveugle de sa politique extérieure orientée vers une entente avec Hitler. Dans les dernières années 30, ils n'étaient plus ce qu'ils avaient été dans les premières années 20, ayant adopté une ligne de conduite qui désaccorde la fin et les moyens, s'étant mis au service d'un Etat qui perdait, pour vivre, ses raisons « principielles » de vivre. Par égard pour le désintéressement originel qui les engagea dans la voie d'où ils se dévoyèrent pour finir en pitoyables victimes du tyran qu'ils avaient magnifié, on leur doit un témoignage véridique énoncé sans haine et sans crainte, sans parti pris ni complaisance. Témoignage évidemment partiel, mais d'intention impartiale, donc inadmissible sous le régime oppressif qui prétend se définir comme la « patrie du socialisme ». DANS LE NÉCROLOGE qui précède, les Polonais ouvrent la sinistre marche qui conduisit tant de leurs congénères communistes au supplice et ils méritent sous tous les rapports une attention particulière. Les principaux d'entre eux étaient regardés dans l'Internationale comme une élite, de plain-~ied avec Lénine et Trotski dont ils avaient partagé les efforts et les épreuves sous le tsarisme. Outre leur langue maternelle, ils parlaient le français, l'allemand et le russe : c'était de vrais Européens, cultivés, informés, parfaitement à l'aise comme chez eux dans l'intelligentsia russe et parmi leurs camarades occidentaux. Staline ne pouvait les sentir, tant à cause de leur évidente supériorité intellectuelle et morale que ,
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