QUELQUES LIVRES par la suite, beaucoup de choses m'étonnèrent dans l'activité de Gorki, et que souvent je souffris de le voir se limiter volontairement à un travail qu'un autre, moins dévoué au noble métier d'écrivain, aurait pu exécuter aussi bien que lui » (p. 252). Tout cela est bien nébuleux, et une certaine admiration du biographe devant le « travail » accompli par Gorki au service de Staline paraît étrange : « Je dois reconnaître que s'étant engagé_ [c'est-à-dire aux gages de Staline - N.V.], Gorki a su donner un exemple extraordinaire de fidélité à l'engagement signé. A un âge déjà avancé, il a su agir comme un jeune soldat volontaire qui obéit aveuglément au commandement, se plie à toutes les servitudes du métier militaire et tâche de faire partager son enthousiasme à ses camarades en leur promettant une victoire grandiose.» Le chapitre intitulé Epilogue traite de la mort de Gorki et de celle de son fils. On y a ajouté des extraits du compte rendu sténographique du procès des « communistes de droite et des trotskistes » (mars 1938), l'assassinat de Gorki et de son fils ayant figuré au nombre des crimes imputés aux accusés. L'auteur se borne, en réalité, à présenter ce procès comme une sorte de film « monté avec la collaboration inattendue du professeur Freud et du docteur Caligari ». « Malgré les aveux les plus spontanés et les plus complets de tous les accusés, beaucoup de points en restent encore obscurs » (p. 250). Etrange phrase en vérité : « Malgré les aveux... » ! Ne serait-il pas plus juste de dire que c'est précisément en raison même de ces « aveux complets » que toute l'affaire reste obscure ? « L'épais brouillard politique et moral qui entoure l'assassinat de Maxime Gorki » ( Alexinski reconnaît donc que Gorki a été assassiné ? ) n'est pas dissipé, et « nous ne disposons que des sténogrammes du procès » (p. 284 ). S'il n'y a vraiment aucun autre document que les sténogrammes pour jeter quelque lumière sur ce procès, c'est une faute grossière de les publier sans le moindre commentaire. Le lecteur étranger auquel s'adresse le recueil Biblioteca Gino Bianco 325 de ces sténogrammes peut en retirer l'impression la plus fausse. Il aurait suffi de quelques remarques et explications complémentaires, même faites par un Alexinski, pour montrer aussitôt ce qu'étaient ces « aveux complets » des accusés. Prenons, par exemple, la déposition de Krioutchkov, agent du Guépéou et secrétaire de Gorki. Krioutchkov explique que c'est un calcul égoïste et matériel qui le poussa à l'assassinat. Alexinski donne la traduction suivante de ses aveux : « Je croyais qu'après la mort de son fils [de Gorki], je resterais le seul homme proche de Gorki, le seul à qui plus tard on pourrait confier le soin de son héritage littéraire, ce qui m'assurerait des moyens matériels et une situation indépendante. » Je dois faire observer que la traduction française officielle du compte rendu du procès (un volume de 849 pages, vendu à Paris 15 F seulement en 1938), éditée par le commissariat de la Justice de !'U.R.S.S., présente autrement la déposition de Krioutchkov : « Quant à Maxime Pechkov [le fils de Gorki], j'étais personnellement intéressé à sa mort, présumant que je resterais la seule personne proche de Gorki et que par la suite son important héritage littéraire me serait légué » (p. 621 ), c'est-à-rlire que moi, Krioutchkov, « j'hériterais » du droit à l'œuvre littéraire de Gorki. A un lecteur étranger, les motifs de l' « assassinat » par Krioutchkov du fils de Gorki peuvent paraître vraisemblables : en éliminant un concurrent, l'assassin voulait s'emparer d'un héritage important. Mais si l'on sait que le droit romain n'est pas en vigueur en U.R.S.S., qut; ni le fils de Gorki, ni Krioutchkov, ni d'ailleurs personne d'autre n'aurait pu hériter des droits sur l'œuvre de Gorki (lesquels, après la mort de !'écrivain, ne pouvaient revenir qu'à l'Etat), il ne reste plus rien du principal motif qui aurait poussé Krioutchkov à assassiner le fils de Gorki. Ses prétendus aveux, tout comme ceux des autres accusés, ne sont que le fruit d'élucubrations fantastiques. N. VALENTINOV.
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