Le Contrat Social - anno IX - n. 5 - set.-ott. 1965

322 donné à Gorki les moyens financiers d'éditer ses Liétopis (Annales) en 1915-17 : « Cette question délicate reste encore aujourd'hui mystérieuse » (p. 179). Comme les Annales, prétend Alexinski, n'étaient autre chose que l'organe de liaison des défaitistes, il insinue que les fonds destinés à la revue furent versés, à des fins très précises, par le banquier Manus, dont les sentiments germanophiles étaient bien connus. Mais il y a, toujours selon l'auteur, une autre version :· Gorki aurait reçu cet argent de Rizov, ambassadeur de Bulgarie à Berlin. Gorki aurait eu « l'imprudence de publier dans le journal Novaïa Jizn (la Vie nouvelle), qui remplaça la revue de 1917, une lettre de Rizov où ce dernier s'adressait à lui comme au leader (sic) du défaitisme rùsse, et l'encourageait à propager l'idée d'une paix séparée avec l'Allemagne. Les journaux patriotes (lesquels?) demandèrent à Gorki d'expliquer comment une lettre de Rizov avait pu, en pleine guerre, lui parvenir de Berlin, ce· qui semblait prouver l'existence d'un service secret de liaison entre les défaitistes russes et la capitale ennemie. Quoi qu'il en fût, des bruits coururent à Pétrograd sur la « provenance suspecte » des fonds de la Novaïa ]izn. Mais Gorki ne put ou ne voulut pas « répondre ». Je ne me suis jamais intéressé à l'origine des fonds de la Novaïa ]izn, mais je puis en revanche parler de ceux des Annales. Ce n'est point sans peine que Gorki réussit à les trouver. Une partie fut donnée par I. D. Sytine, non qu'il fût convaincu de l'opportunité et du succès d'une telle revue, mais, comme il me le dit lui-même, « par estime pour Alexis Maximovitch ». Je ne sais combien donna Sytine; je sais seulement que cet argent fut insuffisant · et que Gorki cherchait partout de nouveaux bailleurs de fonds. Lors d'un de ses voyages à Moscou (à la fin de 1915 ou au dé~ut de 1916), il fit chez moi la connaissance d'un certain Z. M. Esmanski, qui avait en quelques années réalisé une grosse fo.rtune dans des opérations immobilières, et avait amassé un crédit bancaire considérable, notamment à la Banque russe-asiatique. Dès que Gorki apprit les moyens dont disposait Esmanski, il se tourna vers lui, fit rapidement sa conquête (il était passé ·maître dans l'art de gagner les bonnes grâces des gens dont il avait besoin) et l'invita chez lui. Comme il faµait s'y attendre, Esmanski finit par remettre à Gorki une certaine somme pour la revue. Ni Sytine ni Esmanski n'étaient « défaitistes », et de ce côté les fonds destinés à l'édition des Annales ne présentent absolument rien de suspect ni de mystérieux. B1blioteca L;ino Bianco LE CONTRAT SOCIAL Gorki a bien assez de méfaits sur la conscience sans qu'il soit nécessaire d'y ajouter en l'accusant d'avoir reçu de l'argent des Allemands pendant la guerre. Si le sieur Alexinski n'a jamais pu prouver de tels agissements à propos de .Lénine, il a encore moins de preuves en ce qui concerne Gorki. Autre remarque importante : Alexinski traite Gorki de « défaitiste » et même de « leader du défaitisme », en prétendant assez comiquement (p. 177) que c'est lui (Alexinski) qui a créé en 1915 les néologismes « défaitisme » et « défaitiste » pour caractériser la position de Lénine, alors que ces termes étaient déjà d'usage courant en 1905 *. Il est absolument faux que Gorki fût défaitiste, à la façon de Lénine, par exemple, qui souhaitait la défaite des troupes russes (« tsaristes »), parce que, selon lui, « le tsarisme est pire que _lekaiserisme ». Gorki n'était pas défaitiste. En 1915 et 1916, nous l'avons vu en larmes, déplorant la mort massive des soldats russes qui manquaient d'armes pour se battre contre les Allemands. Losqu'en 1916 parut aux Editions _la Voile, que dirigeait Gorki, le livre de Lénine L'Impérialisme, stade suprême du capitalisme, Gorki fut très mécontent des attaques de Lénine contre Kautsky et les « social-chauvins », les « défenseurs de la patrie ». Il insis.ta pour que ces attaques fussent retirées. On peut du reste trouver des renseignements là-dessus dans la presse bolchévique. Et l'on sait que c'est à cause de cette intervention de Gorki en faveur des « social-chauvins » que Lénine, dans une lettre à Inessa Armand (cf. Bolchévik, 1949, n° 1), alla jusqu'à le traiter de « veau ». Sans être défaitiste, Gorki ne croyait pas que la Russie pût vaincre l'Allemagne ; il préconisait la fin rapide de la guerre et la conclusion d'une paix « sans annexion ni contribution ». C'était là du zimmerwaldisme, mais non du défaitisme. Il n'était même pas en faveur d'~e paix séparée avec l'Allemagne. L'auteur de ces lignes, qui s'était prononcé dès le milieu de 1915 pour unè paix séparée (ce pourquoi il reçut de V. G. Groman le surnom ironique de' « partisan de la jeune tsarine »), eut l'occasion de causer à deux ou trois reprises à ce sujet avec Gorki. Je dois dire objectivement que pas une seule fois je n'ai entendu de sa bouche quoi que ce soit ressemblant à l'approbation • Par ignorance ou complaisance (ou les deux à la fois) des rédacteurs du Figaro et de la revue Vie et langag; (très . médiocre publication de la Librairie Larousse) ont accordé créance et répandu ce mensonge flagrant. Pendant la guerre russo-japonaise, même le parti cadet (constitutionnel-démocrate) avait penché vers le • défaitisme •, sans parler des divers groupements soclallstes, -N,d_.l.R, ..

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