Le Contrat Social - anno IX - n. 5 - set.-ott. 1965

268 · ni à la prescience des parvenus de la nouvelle classe dominante. « La machine échappe des mains ... », reconnaissait déjà Lénine. Tout s'explique si l'on se garde d'oublier que Staline a exterminé l'élite intellectuelle et morale de son parti et créé des conditions interdisant pour longtemps l'émergence de nouvelles têtes pensantes, dangereuses pour l'ordre établi. Lénine avait écrit dans une lettre citée trop tard par Boukharine : « Si vous chassez tous ceux qui ne sont pas très obéissants, mais intelligents, et ne ·conservez que les sots dociles, vous mènerez certainement le Parti à sa perte. » Prédiction réalisée : Staline n'a pas seulement chassé, il a assassiné, après les avoir avilis, « tous ceux qui ne sont pas très obéissants, mais intelligents », et n'a laissé survivre que les « sots dociles »; et, en effet, le parti de Lénine est allé à sa perte, faisant place au parti de Staline. Les « sots dociles » ont appris néanmoins quelque chose, ils ont acquis de l'expérience et du métier, mais seulement dans les limites de l'exercice du pouvoir. Quant à repenser les idées toutes faites, récitées par cœur, ils ne s'en montrent guère capables. .. * * LA POLITIQUE ÉTRANGÈRE, cela va de soi, importe le plus au monde relativement « libre » où nous sommes, puisqu'elle met en cause la paix et la guerre. Or, elle n'a pas réellement changé de Lénine en Staline et de Khrouchtchev en Brejnev. Elle consiste en méfiance et hostilité systématiques envers tous les pays non inféodés à Moscou, tantôt atténuées si tel gouvernement se prête au jeu sovié- . tique ou fait semblant, tantôt accentuées si tel autre s'y refuse ou le contrecarre. Elle implique l'intervention plus ou moins ouverte ou camouflée partout où s'offre une chance de subversion profitable aux desseins de la puissance soviétique, intervention multiforme qui s'exerce par une propagande et une infiltration incessantes, par de l'argent, par des agents, au besoin par des armes, à l'exclusion de tout risque de guerre classique. C'est ce que Staline appelait « coexistence pacifique » et que Khrouchtchev ou Brejnev ont continué, quelles que fussent et que soient le~ modalités de leur diplomatie ou les aspects de leurs attitudes publiques. L'Union soviétique a jadis adhéré à la Société des Nations, sous Staline qui naguère la tenait pour une « Ligue des brigands ». De même, que le chef se nomme Staline, Khrouchtchev ou Brejnev, elle est membre des Nations Unies qu'elle dénigre sans merci et dont Biblioteca Gino Bianco LE CONTRAT SOCIAL elle sabote les fonctions quand elle y trouve avantage. Il y a des différences : Khrouchtchev a martelé son pupitre à l'O.N.U. avec sa chaussure, ce que n'ont pas fait son prédécesseur ni son successeur. Différences non de fond, mais de formes. Brejnev, à l'exemple de Khrouchtchev, vitupère sans conviction l' « impérialisme » et le « colonialisme », sans que cela tire à conséquence. Récemment encore, à Kiev, le 23 octobre, il a condamné « la guerre déclenchée par les bandits impérialistes américains au Vietnam », il a accusé des ennemis imaginaires de « déchaîner des guerres locales qui risquent de se transformer en un conflit nucléaire général », il a dénoncé le « revanchisme ouest-allemand » qui équivaut à la « menace d'une guerre nucléaire». C'est le langage même de Khrouchtchev, et l'on voit que le chantage à la guerre nucléaire n'a pas fini de servir. 'f * * SUR LE PLAN des relations entre pays et partis communistes, la situation postérieure à Khrouchtchev reste foncièrement identique à la situation antérieure, les impolitesses en moins du côté soviétique, mais Khrouchtchev n'en avait pas abusé en public (deux ou ·u;ois fois ? ) et lui-même y avait mis un terme. Les Chinois persistent à couvrir d'injures monotones et insincères les Russes qui les subissent sans broncher, ayant compris déjà du temps de Khrouchtchev que rien ne servirait de répliquer sur ce diapason. Depuis certain rapport de Souslov, personnage que les soviétologues tiennent pour un « théoricien » ( dont tout le monde ignore les théories) et pour le leader des « Chinois » du Comité central à Moscou, les communistes de l'Union soviétique font preuve d'une résignation remarquable sous les coups répétés que leur assènent leurs congénères de Chine, en paroles et en papier couvert d'idéo- . grammes. Ils se bornent à resserrer leurs liens à grands frais avec les « partis frères » et avec les nations presque sœurs du prétendu « tiers monde » qui n'a rien de tiers, et eux seuls savent exactement combien cela leur coûte. Au vu et au su de « l'opinion mondiale », qui n'existe pas, un Nasser, entre autres, se vend au plus offrant, c'est-à-dire à qui lui fournit un barrage, des céréales achetées au Canada et du matériel de guerre. L'Union soviétique est plus riche en ressources disponibles de toutes sortes que la Chine actuellement misérable et, aux dépens de ses populations exploitées, elle peut se permettre d'acheter des concours bruyants, de payer des complicités discrètes, de neutraliser des oppositions éventuelles. Par

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