F. RASKOLNIKOV Dès la fin de 1936, alors que j'étais ministre plénipotentiaire de !'U.R.S.S. en Bulgarie, le commisaire du peuple aux Affaires étrangères me proposa les mêmes fonctions au Mexique, pays avec lequel nous n'avions même pas de relations diplomatiques. Vu son manque de sérieux, je déclinai l'offre. Après quoi, au cours du premier semestre 1937, on m'offrit successivement les fonctions de ministre plénipotentiaire en Tchécoslovaquie et en Grèce. Mon séjour en Bulgarie me donnant satisfaction, je refusai ce qui m'était proposé. C'est alors que, le 15 juillet 1957, je reçus un télégramme du commissaire aux Affaires étrangères m'invitant, sur l'injonction du gouvernement, à me rendre immédiatement à Moscou pour avoir des entretiens au sujet de ma nomination à de plus hautes fonctions. La raison invoquée était que celles que j'occupais en Bulgarie· n'étaient pas assez importantes pour moi. On me demandait de faire connaître tout de suite la date de mon départ et de ne pas le différer. Le premier et le deuxième secrétaire de la légation ayant déjà regagné Moscou, je demandai à qui je devais passer les affaires. Je reçus l'ordre d'attendre le retour du deuxième secrétaire ou l'arrivée d'un remplaçant venant d'une autre légation. Le premier secrétaire Prassolov, nommé entre-temps, n'arriva à Sofia qu'en janvier 1938. A partir de ce moment, on insista de nouveau pour que je me rende immédiatement à Moscou : le commissaire du peuple m'écrivit que ma nomination en Turquie était envisagée. Je demandai de faire coïncider mon voyage officiel à Moscou avec mon congé régulier, ce qui me fut accordé à condition que je passe mes vacances en U.R.S.S. Le 1 •r avril 1938, je partis de Sofia à destination de Moscou, ce dont j'informai le jour même le commissariat aux Affaires étrangères. Je quittais Sofia avec la conviction que je reviendrais pour remettre mes lettres de rappel et faire des visites d'adieu. Je n'ai pas déserté mon poste, attendu que je suis parti au vu et au su de tous, après avoir été non seulement autorisé à m'en aller, mais directement rappelé par mes chefs hiérarchiques. Toute la colonie soviétique en Bulgarie m'accompagna à la gare. Ainsi, l'accusation portée contre moi d'avoir déserté mon poste tombe d'elle-même comme contraire aux faits. Biblioteca Gino Bianco 319 Quatre jours après, le 5 avril 1938, alors que je n'avais pas eu le temps d'arriver à la frontière soviétique, on perdit patience à Moscou. Profitant de ce que j'étais encore en route, on me révoqua scandaleusement de mon poste de ministre plénipotentiaire de l'U .R.S.S. en Bulgarie, ce que j'eus la surprise d'apprendre par les journaux étrangers. En l'occurrence, le minimum de convenances ne fut pas observé : je n'étais même pas appelé camarade. Etant un homme politiquement averti, ·je comprends parfaitement ce que veut dire destituer quelqu'un toute affaire cessante et en informer le monde entier par la radio. Dès lors, il était clair qu'une fois passée la frontière, je serais arrêté et que, comme tant d'autres vieux bolchéviks, je deviendrais un coupable innocent. Quant aux postes de responsabilité qu'on m'offrait du Mexique à Ankara, ce n'était qu'un piège, un moyen pour m'attirer à Moscou. Par de tels procédés malhonnêtes, indignes d'un Etat, maints ministres plénipotentiaires furent attirés à Moscou. L. M. Karakhan se vit offrir avec insistance les fonctions d 'ambassadeur à Washington. Arrivé à Moscou, on l'arrêta et on le fusilla. V. A. AntonovOvsêenko fut rappelé d'Espagne sous prétexte qu'il était nommé commissaire à la Justice de la R.S.F.S.R. ; afin de donner plus de créance à cette nomination, la décision fut même publiée dans les Izvestia et la Pravda. Il ne s'est probablement pas trouvé un seul lecteur de ces journaux pour se douter que ces lignes étaient imprimées pour Antonov-Ovséenko uniquement. ~ rendre à Moscou, après la décision du 5 avril 1938 me révoquant de mon poste comme un criminel dont la culpabilité déjà établie n'était plus mise en doute, eût été pure folie, autant dire un suicide. Sur un des portails de l'église Notre-Dame de Paris, parmi d'autres sculptures, on voit la statue de saint Denis portant humblement sa propre tête. Je préférai donc me contenter de pain et d'eau en liberté plutôt que de gémir et de succomber, bien qu'innocent, dans un cachot, sans pouvoir me disculper des monstrueuses accusations portées contre moi. Le 10 septembre 1938, à Genève, je rendis visite à M. M. Litvinov pour connaître les raisons de ma révocation et tirer au clair ma situation. Convoqué par l'ambassadeur de !'U.R.S.S. en France, J. Z. Souritz, je me présentai, le 12 octobre 1938, à l'ambassade de la rue de Grenelle.
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