Le Contrat Social - anno IX - n. 5 - set.-ott. 1965

312 · totalitaire, une telle direction, une fois commencée, prend de plus en plus d'ampleur et tend à devenir universelle, comme ce fut le cas en Russie dès le début. En Allemagne aussi, c'est le pouvoir politique qui détermine, conformément au but de conserver et d'augmenter sa puissance, le caractère de la production et de l'accumulation ; les prix perdent leur fonction régulatrice et deviennent un moyen de distribution. L'économie, et avec elle les porteurs de l'activité économique, sont subordonnés plus ou moins direc.tement à l'Etat, en deviennent les auxiliaires. L'économie perd la primauté qu'elle avait dans la société bourgeoise, ce qui, bien entendu, ne signifie nullement que les milieux économiques n'exercent pas une influence considérable sur le pouvoir politique, et en Allemagne et en Russie. Mais ce sont là des conditions, des limites, des prémisses, qui ne sont pas décisives pour le contenu de la politique. La politique est déterminée par un petit cercle de détenteurs du pouvoir. Leur intérêt, leurs idées sur les besoins de conservation, d'utilisation et de renforcement de leur propre pouvoir déterminent leur politique qu'ils imposent comme une loi à l'économie, laquelle leur est subordonnée. D'où aussi l'importance qu'a acquise dans la politique le facteur subjectif, l' « imprévisible », l' « irrationnel » dans l'évolution politique. Le croyant ne connaît que le ciel et l'enfer, le sectaire marxiste - le capitalisme et le socialisme, les classes, bourgeoisie et prolétariat, comme forces déterminantes. Il ne peut lui entrer dans l'idée que le pouvoir politique contemporain, s'étant rendu indépendant, déploie son immense puissance selon ses propres lois, soumet les forces sociales - pour plus ou moins longtemps - et les oblige à le servir. C'est pourquoi le système russe, et totalitaire en général, de domination n'est pas déterminé par le caractère de l'économie. Au contraire, cette économie est déterminée par lapolitique, formée par le pouvoir politique et subordonnée aux fins de ce pouvoir. Le pouvoir politique totalitaire vit par l'économie, mais il n'existe pas pour l'économie, pour la classe dominante dans l'économie, comme l'Etat bourgeois, bien que ce dernier aussi, comme le prouve toute analyse de la politique étrangère, puisse de temps à autre poursuivre ses propres fins. On peut trouver plutôt une analogie avec l'Etat totalitaire dans l'époque du Bas-Empire romain, la domination des prétoriens et de leurs empereurs. Certes, du point de vue social-démocrate, il est difficile d'appeler capitaliste le système B.iblioteca Gino Bianco DÉBATS ET RECHERCHES économique bolchévique. Car, pour nous, le socialisme est indissolublement lié à la démocratie. La socialisation des moyens de production aurait dû, d'après notre théorie, soustraire l'économie du pays à une seule classe et la remettre à l'administration démocratique de toute la société. Et nous n'avions jamais envisagé que la forme politique de l' « économie dirigée », qui doit remplacer la production capitaliste pour le marché libre, puisse être un absolutisme illimité. La relation entre la base économique et la superstructure politique nous paraissait tout à fait nette : c'était la société socialiste qui devait apporter la réalisation complète de la démocratie. Ceux-là mêmes d'entre nous qui tenaient pour nécessaire ou inévitable pour la période de transition l' application la plus rigoureuse d'un pouvoir politiqÜe centralisé ne considéraient cet état de choses que comme provisoire et appelé à cesser une fois brisée la résistance des classes possédantes. Avec les classes devait disparaître la domination de classe que nous considérions comme la seule forme possible de la domination politique en général. « L'Etat dépérit... » Mais l'histoire, ce « meilleur des marxistes », nous a 1nontré autre chose. Elle nous apprend que la « direction des choses » peut, contrairement à l'attente d'Engels, devenir « domination » illimitée « sur les gens » et par là même mener non seulement à l'émancipation de l'Etat vis-à-vis de l'économie, mais aussi à la subordination de l'économie aux détenteurs du pouvoir politique. Une fois tombée dans la subordination de l'Etat, l'économie assure l'existence de cette forme d'Etat. Le fait qu'un tel résultat ait eu lieu dans une situation unique, créée avant tout pour la guerre, ne rend pas impossible l'analyse marxiste, mais apporte un correctif à nos idées trop schématiques et simplifiées sur la relation entre l'économie et _l'Etat, réconomie et la politique, idées nées à une tout autre époque. La transformation de / l'Etat en une force indépendante rend extrêmement difficile de caractériser économiquement une société où la politique, c'est-à-dire l'Etat, joue le rôle déterminant et décisif. C'est pourquoi la querelle sur le point de savoir si le système économique de l'Union soviétique est « capitaliste » ou « socialiste » me paraît absolument sans objet. Il n'est ni l'un ni l'autre. Il représente une économie totalitaire d'Etat, c'est-à-dire un système dont les économies d'Allemagne et d'Italie se rapprochent de plus en plus. (Traduit du russe) RUDOLF HILFERDING.

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