R. HILFERDING capital. L'argument de Worrall se fonde sur une grossière confusion entre la valeur et le bien de consommation. Il s'imagine en effet que l'économie socialiste pourrait se passer de l'accumulation. Mais quel est - et ici nous approchons enfin la question fondamentale - ce pouvoir central qui domine l'économie russe ? Trotski et Worrall répondent : la bureaucratie. Mais alors que Trotski se refuse à considérer la bureaucratie comme une classe - la classe est caractérisée, chez Marx, par sa place dans le processus de production, - Worrall fait une étonnante découverte. La bur€aucratie russe, par sa structure que, malheureusement, il laisse sans examen plus approfondi, se distingue « fondamentalement » de toute bourgeoisie, mais sa fonction est la même : l'accumulation du capital. Comment, avec une structure absolument différente, la fonction peut-elle rester la même, c'est évidemment là un miracle qui ne peut pas se produire dans la nature, mais qui est apparemment possible dans la société humaine. En tout cas, par ce moyen la preuve est trouvée que la classe bourgeoise domine en Russie ; d'où le capitalisme d'Etat. Worrall s'en tient obstinément à sa confusion entre capital et moyens de production et ne peut manifestement pas se représenter une autre accumulation que capitaliste. Il ne comprend pas que l'accumulation, l'élargissement de la production, est dans tout système économique la tâche de ceux qui dirigent la production, que même dans un système socialiste idéal elle ne peut venir que du surproduit (qui n'a la forme de plus-value que dans le système capitaliste) et qu'on ne peut ainsi conclure, du fait de l'accumulation, au caractère capitaliste de l'économie. Mais la « bureaucratie » domine-t-elle vraiment l'économie et à la fois les hommes? La bureaucratie représente partout, et en particulier en Russie soviétique, une masse fort hétérogène. En font partie non seulement les fonctionnaires de· l'Etat au. sens étroit du terme, du petit fonctionnaire aux officiers généraux et à Staline lui-même, mais aussi les dirigeants de l'industrie de tous échelons et des fonctionnaires, comme par exemple ceux des postes et des chemins de fer. Et c'est cette masse disparate qui exerce une domination homogène? Où donc est sa représentation, comment prendelle ses décisions, de quels organes disposet-elle ? En réalité, la « bureaucratie » n'est pas un détenteur indépendant du pouvoir, et tant par sa « structure » que par sa « fonction », elle n'est qu'un instrument aux mains des Biblioteca Gino Bianco 311 vrais maîtres. Elle est organisée hiérarchiquement et elle est subordonnée à l'autorité qui com1nande - elle reçoit des ordres mais n'en donne pas. Tout fonctionnaire, comme le dit si justement Trotski, « peut être sacrifié par son supérieur hiérarchique pour affaiblir un mécontentement ». Et ce seraient là les maîtres de la production, ce serait là le nouveau substitut aux capitalistes ? Staline a démenti à bon droit cette légende quand, au cours des dernières épurations, il a donné l'ordre de tirer une balle dans la nuque, « entre autres », à des milliers de dirigeants de l'industrie. Le maître n'est pas la bureaucratie, mais celui qui commande à la bureaucratie. La bureaucratie russe est commandée par Staline. Lénine et Trotski, avec un groupe de leurs partisans sélectionnés qui n'a jamais été capable de décision indépendante en tant que parti, mais a toujours été un simple instrument aux mains des chefs, comme plus tard les « partis » fascite et national-socialiste se sont emparés du pouvoir au moment de l'écroulement de l'ancien appareil d'Etat. Ils l'ont transformé conformément aux besoins de leur domination, ont supprimé la démocratie et ont instauré leur propre dictature que, dans leur idéologie mais nullement dans la pratique, ils ont identifiée avec la « dictature du prolétariat ». Ils ont ainsi créé le premier Etat totalitaire avant la lettre. Staline poursuivit cette œuvre, évinça ses rivaux par l'intermédiaire de l'appareil d'Etat et rendit illimitée sa dictature personnelle. Telle est la réalité, et il ne faut pas la masquer en construisant une pseudo-domination de la « bureaucratie » qui, en réalité, est aus~i subordonnée au pouvoir politique que tout\ le reste de la population, bien que, dans des proportions modestes et dosées selon la situation, elle reçoive, sans garantie du lendemain et sous une menace constante pour sa vie, des miettes de la table des maîtres. Matériellement, cela ne constitue pas une part tant soit peu importante de l'ensemble du produit social, quoique l'effet psychologique d'une telle différenciation puisse être très grand. Les conséquences sont importantes pour l'économie du pays. Il est également dans la nature de l'Etat totalitaire qu'il subordonne l'économie à ses fins. L'économie perd ses lois propres, elle devient dirigée. A mesure que cette direction se réalise, elle transforme l'économie de marché en économie de consommation, le caractère et l'importance des besoins étant déterminés par le pouvoir politique. On peut retracer sur l'exemple des économies allemande et italienne comment, dans un Etat
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