Le Contrat Social - anno IX - n. 5 - set.-ott. 1965

310 Et si ensuite Marx dit que dans les deux directions - et par voie de concentration des moyens de production et par voie d' organisation du travail comme travail social - « le mode de production capitaliste abolit la propriété privée et le travail privé, mais le fait sous une forme contradictoire », cette contradiction consiste précisément en ce que, malgré la « socialisation » progressive des moyens de production et du travail, la propriété privée des moyens de production et la disposition de la main-d'œuvre salariée, qui y est liée, continuent d'exister. MAIS LAISSONS Worrall et ses citations de Marx pour nous occuper de la réalité d'aujourd'hui. Les bolchéviks ont commencé par détruire l'ancien appareil de l'Etat. De l' « Etat bourgeois », de la « machine au fond capitaliste » dont Engels parle dans l'Anti-Dühring, il ne reste rien. Ainsi, depuis la révolution bolchévique, la première condition du « capitalisme d'Etat », comme Engels la constate en tant que possibilité, à savoir la domination des capitalistes sur l'Etat, est absente en Russie. Dans ce cas, la construction engelsienne tombe et nous pouvons ne plus y revenir. Les bolchéviks ont en outre détruit la propriété privée des moyens de production, et non seulement chez les capitalistes, mais chez les artisans et les paysans. Il n'y a ni Etat bourgeois ni capitalistes, et l'on nous parle de capitalisme d'Etat ! La notion de « capitalisme d'Etat » ne résiste pas en général à l'analyse économique. Dès l'instant que l'Etat devient seul propriétaire de tous les moyens de production, il rend impossible le fonctionnement de l'économie capitaliste, élimine le mécanisme même qui met ~n mouvement le cycle économique. L'économie capitaliste est une économie de marché. Le prix qui se forme par l'effet de la concurrence entre propriétaires capitalistes - et c'est seulement par l'effet de cette concurrence que se réalise « en fin de compte » la loi de la valeur - détermine ce qui se produit et en quelle quantité, quelle part du profit est accumulée et dans quelles branches de la production, et enfin comment s'établit, en surmontant constamment des crises, la proportionnalité entre les diverses branches de la production, avec une reproduction simple et élargie. L'économie capitaliste est dominée par les lois du marché dont Marx a donné une analyse, et l'autonomie de ces lois représente le signe décisif du mode de production capitaliste. Mais Biblioteca Gino Bianco DÉBATS ET RECHERCHES l'économie d'Etat abolit précisément l'autonomie des lois de l'économie ; elle n'est pas une économie de marché, mais une économie de consommation. Ce qu'on produit, et comment, est déterminé non par le prix, mais par la commission de planification d'Etat qui établit le caractère et l'importance de la production. En apparence, les prix et les salaires existent encore, mais leur fonction change complètement; ils ne déterminent plus le cours de la production, dirigée par l'autorité centrale qui fixe elle-même tant les prix que le montant des salaires. Les prix et les salaires ne sont plus que des moyens de distribution qui déterminent la part de chacun dans la somme totale de ce que l'autorité centrale met à la disposition de la société. C'est désormais une forme technique de la distribution, forme plus simple que la prescription directe de la quantité de divers produits, qui ont cessé d'être des marchandises, que doit recevoir chacun. Les prix sont devenus des signes de la distribution, mais ne sont plus les régulateurs de l'économie. Les formes sont conservées, mais il y a changement de fonction. Avec le « feu vivifiant de la concurrence » s'éteint aussi l'ardente aspiration au profit qui constitue le principal motif de la production capitaliste. Le profit signifie l'appropriation individuelle du surproduit et n'est donc concevable que sur la base de la propriété privée. Mais, objecte Worrall, Marx ne considère-t-il pas l'accumulation comme un signe essentiel du capitalisme, et l'accumulation ne joue-t-elle pas un rôle décisif dans l'économie russe ? Worral oublie seulement un petit détail, à savoir que Marx parle de l'accumulation du capital, de la formation de masses toujours plus grandes de moyens de production qui créent le profit dont l'appropriation constitue le moteur de la production capitaliste. Il s'agit donc de l'accumul~ton de valeurs qui crée la plus-value, c'est-àdtre du processus spécifiquement capitaliste d'élargissement de l'activité économique. .. Or l'accumulation de moyens de production et de produits est si peu un signe spécifique du . capitalisme qu'elle joue un rôle décisif dans tous les systèmes économiques, à l'exception peut-être de la recherche la plus primitive de moyens de subsistance. Dans une économie de consommation, dans une économie d'Etat, ce qui se passe n'est pas l'accumulation de valeurs, mais l'accumulation de biens de consommation, de produits dont le pouvoir central veut pouvoir disposer pour satisfaire ses consommateurs. Le fait que l'économie étatique russe accumule n'en fait pas une économie capitaliste, car ce qui s'accumule n'est pas le

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