304 cipation de l'accusation et de la défense. Dans le dernier cas, le tribunal assumait en fait le rôle de procureur en décidant, au cours de l'audience préparatoire, comment l'affaire serait réglée. Ce faisant, le tribunal partait du principe que l'accusé était coupable, étant donné que l'accusation (représentant l'autorité prépondérante de l'Etat) avait déjà reconnu le prévenu comme tel lors de l'inculpation. 5. Non moins importante était la théorie de Vychinski qui définissait la « vérité positive » comme le plus haut degré de probabilité. Un simple aveu de l'accusé suffisait pour qu'il fût déclaré coupable et condamné. Cette théorie était destinée à servir la politique de la « lutte de classes » et elle eut pour effet de rendre plus difficile pour un avocat la défense de son client. Fonctions de l'avocat DÈs Av ANT la mort de Staline, le statut de l'avocat au procès fit l'objet d'une vive controverse parmi les juristes soviétiques. La doctrine officielle, formulée par Vychinski dans les années 30, tenait l'avocat de la défense pour un « aide » du tribunal. Le professeur Mikhaïl A. Tcheltsov, de l'université de Moscou, soutenait encore cette théorie en 1951, plaidant que la loi reconnaissait la participation de l'avocat de la défense aux débats comme fondamentalement nécessaire pour aider le tribunal à mieux éclairer l'affaire jugée 21 • Une conception différente était mise en avant par un autre juriste éminent, Mikhaïl S. Strogovitch, également professeur à l'université de Moscou. Dans un article publié en 1948 22 , Strogovitch s'efforçait de fonder la position de l'avocat de la défense sur ses rapports, non pas avec le tribunal, mais avec son client, l'accusé. Depuis lors, il n'a pas cessé de défendre cette· conception. Tout en concédant qu'un avocat puisse servir le tribunal en ce sens qu'en défendant son client il aide le tribunal à remplir sa fonction qui est de rendre la justice, Strogovitch soutenait que cette circonstance n'est pas la fonction-clé de l'avocat : celle-ci consiste à faire respecter les droits légaux de l'accusé. Si l'avocat devait être un aide du tribunal, demandaitil, pourquoi devrait-il être payé par son client et non par le tribunal ? De plus, il faisait valoir qu'il dépendait entièrement de l'accusé, et non pas du tribunal, de choisir son avocat. L'accusé pouvait même décider de se passer d'avocat, ce 21. Tcheltsov : op. cit., p. 11 S. 22. M. S. Strogovitch : « Le statut du défenseur dans le procès criminel soviétique», in recueil La Dêfem·e en matière pénale, Moscou 1948. ' Biblioteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE qui aurait voulu dire qu'il pouvait priver le tribunal · de son « aide » prétendu 28 • Strogovitch, cependant, n'allait pas jusqu'à définir le rapport légal entre avocat et client en faisant abstraction des intérêts de l'Etat; plus exactement, il mettait l'accent sur ce rapport afin de réfuter l'interprétation qui prétendait l'ignorer et qui jusque-là l'emportait. Fondamental~ment, le statut de l'avocat de la défense dans les procès criminels est étroitement lié au statut des tribunaux dans la structure d'ensemble de l'Etat. Le statut des tribunaux, à son tour, est directement lié aux principes fondamentaux sur lesquels l'Etat est fondé, c'est-à-dire les concepts fondamentaux concernant le droit, la justice et les rapports entre l'Etat et le citoyen. Cela est amplement confirmé par l'histoire de la justice soviétique. Pendant la période où la politique judiciaire a· été modelée par la thèse stalinienne suivant laquelle la lutte de classes ne fait que s'intensifier lorsqu'on s'avance vers le socialisme, l'attitude officielle envers le barreau se fit plus négative dans la mesure où les tribunaux eux-mêmes devenaient des instruments pour la suppression des ennemis de classe. Après la mort de Staline, et particulièrement après que le XXe Congrès du Parti eut condamné la thèse de l'aggravation de la lutte de classes, certaines modifications de la doctrine judiciaire qui avait prévalu jusque-là devinrent nécessaires. Quoique Tcheltsov ait encore soutenu, en 1954, que l'avocat a pour fonction d'aider activement le tribunal à découvrir la vérité concernant un crime supposé et à faire toute la lumière sur le danger que le crime et son auteur font courir à la société 24 , des membres du collège d'avocats de Léningrad protestèrent ·publiquement contre cette conception en 1955 : pour eux, ce que Tcheltsov avait défini comme la fonction de l'avocat était en réalité celle de l'accusation et du tribunal. La tâche de l'avocat était, d'~bord et avant tout, de défendre les droits et intérêts légaux du citoyen mis en accusation; ce faisant, il aidait l'Etat et la justice soviétique, il renforçait la « légalité socialiste » 25 • Ces controverses ne signifaient cependant pas un tournant décisif dans la conception théorique du rôle de l'avocat. Tcheltsov continue de soutenir qûe l'avocat est ~n organe de l'admi23. M. S. Strogovitch : « Le statut de l'avocat dans le procès criminel soviétique», in Lêgalitê socialiste, n° 3, 1959. 24. In recueil L'A vocat dans le procès criminel soviétique, Moscou 1954, p. 17. 25. Compte rendu .de L' Avocat dans le procès criminel soviêtique, in l'Etat soviétique et le droit, n° 3, 195S, pp. 140-43.
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