A. BILINSKY Parallèlement à leur pratique privée, les membres des collèges étaient tenus d'assurer des « services de consultation juridique » considérés comme un devoir social. Ces services étaient organisés par les présidiums de collège et assurés la plupart du temps par de tout Jeunes avocats. Ce genre d'activité n'étant pas rétribué dans la plupart des cas en raison de l'indigence des intéressés, les débutants ne faisaient donc pas concurrence à la « pratique individuelle ». Etant donné la situation, les membres du bureau trouvèrent un champ suffisamment large pour l'exercice de leur profession. Ils étaient presque sans exception des sans-parti, les membres du Parti n'étant pas autorisés à se livrer à une activité juridique privée. Même dans ces conditions, leurs gains en tant qu'avocats indépendants étaient en gros deux ou trois fois plus importants que les salaires alloués aux juges et aux avocats d'Etat 7 • Collectivisation du barreau LA SITUATION FAVORABLE du barreau indépendant ne dura guère. Après le lancement du premier plan quinquennal, le régime était décidé à activer l'établissement d'une économie collectivisée et à user de tout le pouvoir de l'Etat pour assurer l'exécution du plan en éliminant tous les obstacles. Cela signifiait la transformation des organes de justice, en particulier des tribunaux et du ministère public, en des instruments destinés à fonctionner non pas selon une vérité et une justice abstraites, mais avant tout selon l'opportunité politique. Ce qui était en l'occurrence politiquement opportun était décidé au centre, par les grands dirigeants et, sur le plan local, par l'appareil du Parti. A l'intérieur de cet appareil, il existait une section spéciale pour les organes administratifs qui veillait à ce que les postes judiciaires soient occupés par de fidèles partisans. Cette nouvelle conception du rôle de l'administration judiciaire remettait en question la forme existante du procès criminel, avec son dualisme de l'accusation et de la défense 8 • En fait, cette remise en question était dirigée contre le barreau indépendant; une discussion publique fut organisée, en 1928, au Théâtre de la Révolution, à Moscou, sur la question suivante : « A-t-on vraiment besoin d'une défense ? » A cette occasion, des fonctionnaires de la justice tels que lanson et Krylenko plaidèrent pour l'abolition des collèges d'avocats sous prétexte 7. Remeianemcnt communiq~ par A. Simionov,. e.x-avocat sovi6tique dont a. nota manuacritea se trouvent à la babhoth~quc de l'ln1tit~t pour 1'6tude de l'U.R.S.S. à Munich. 8. M. A. Tcheltaov : u Prori1 crlmln,I 1ovll1lqu,, Moacou 1951, p. 110. Biblioteca Gino Bianco 301 que cette institution était « incompatible avec la mission de la justice soviétique et constituait une entrave à l'édification socialiste » 0 • Le mouvement d'opposition n'alla cependant pas jusqu'à supprimer les collèges. Il faut rappeler qu'à l'époque il existait également un mouvement en faveur de l'abolition des contrats civils sous prétexte qu'ils étaient dépourvus de sens dans les rapports entre des entreprises étatisées; mais cette idée fut abandonnée lorsqu'on se rendit compte que les contrats et le mécanisme du droit civil pouvaient permettre d'assurer la réalisation des plans économiques de l'Etat. De même, en ce qui concerne les procès criminels, on se rendit compte que l'avocat pouvait jouer un rôle positif dans la mesure où il remplissait sa fonction en vue d'objectifs politiques déterminés. Pour assurer cette subordination à l'Etat, une organisation du barreau indépendant fut amorcée en 1928 et parachevée vers 1930. Comme pour l'agriculture, le régime eut recours aux méthodes les plus arbitraires afin d'imposer la « collectivisation » à la profession juridique : les avocats indépendants furent grevés d'impôts additionnels, on refusa souvent de leur attribuer des bureaux et on les soumit à toutes sortes de tracasseries pour les obliger à renoncer à leur pratique privée. La défense juridique fut centrée beaucoup plus qu'auparavant sur les « collectifs » d'avocats 10 : au lieu d'être mandaté directement par son client, l'avocat recevait du collectif l'ordre d'assurer certaines tâches de défense, les honoraires étant versés au collectif et non plus à l'avocat lui-même. La moitié environ des revenus du collectif était dis~ribuée à ses membres à titre de compensatio.q, le reste étant alloué à d'autres postes 11 • La collectivisation du barreau n'altéra cependant pas la façon de penser des avocats de métier ni leur manière de concevoir leur activité juridique. Pour eux, les mesures prises par le régime étaient une espèce de terreur à laquelle ils ne pouvaient ni n'osaient résister sous peine de se voir définitivement rayés de l'ordre. Cette hostilité mal déguisée nourrie par de nombreux membres des collectifs d'avocats, qui comprenaient une bonne part de « vieux » ( prérévolutionnaires) praticiens, n'échappa point à l'attention du Parti; il n'est donc pas surprenant qu'entre 1930 et 1939, plus d'un avocat réputé « antisoviétique » fut victime des épurations systématiques 12 • En même temps, diverses me9. Simionov : op. cit., p. 20. 10. Karev : op. dt., p. 163. 11. Simionov : op. dt., p. 27. 12. Ibid., p. 24.
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