300 A l'origine, on tenta de confier l'action publique et la défense à tout citoyen qui s'inscrivait sur une liste de volontaires procureurs et défenseurs « sociaux ». Cependant, après l'échec de ce système, les tribunaux furent dotés, en 1918, de listes d' « intercesseurs juridiques » (pravozastoupniki) recrutés sur place qui étaient destinés à jouer le rôle d'accusateur aussi bien que celui de défenseur. Le prévenu devait être autorisé à choisir librement un défenseur sur ces listes. Cette expérience fut un nouvel échec. Comme le faisait remarquer D. I. Kourski, alors commissaire du peuple à la Justice, l'une des raisons de cet échec était la suivante : ...Il y avait peu d'avocats et il était impossible d'accepter dans leurs rangs des gens qualifiés du barreau bourgeois qui, à l'époque, étaient sans exception du côté des ennemis de la classe ouvrière. En conséquence, les collèges d'intercesseurs juridiques ne furent qu'une pâle copie de l'ancienne association des avocats assermentés 3 • Pour trouver une solution « socialiste » au problème de la représentation légale, deux points de vue se firent jour. Pour les uns, les avocats (ainsi que les procureurs et magistrats) devaient· être des « hommes du peuple ». Pour les autres, ils devaient être des fonctionnaires du gouvernement. Cette dernière opinion prévalut dans le décret du 30 novembre 1918 qui enjoignait à tous les comités exécutifs de district et de province de mettre sur pied des « collèges d'avocats ». Ces derniers seraient des fonctionnaires d'Etat touchant des salaires équivalant à ceux des juges du peuple. Assurer la défense dans les tribunaux était le devoir officiel de ces avocats. Cependant, les procès criminels étant jugés sans aucun égard pour les règles formelles, l'opinion finit par prévaloir que l'institution de l'avocat était carrément superflue 4 • La fin du«. communisme de guerre » et l'instauration· de la nep impliquant une restauration de l'entreprise privée et du marché libre entraînèrent une réforme fondamentale du système judiciaire. Le « dépérissement du droit » fut reporté aux calendes grecques et une série de codes furent élaborés : code civil et code pénal, codes d'instruction criminelle et de procédure civile, code du travail, code de la famille, etc. Cela signifiait que les juges et les avocats devaient avoir une formation juridique complète pour être à même de trancher des affaires conformément aux lois nouvelles. La réforme n'allait cependant pas jusqu'à abolir l'élection _des juges par le' peuple, de peur de porter attetnte au caractère « socialiste » des tribunaux; néan3. D. T. Kourski : Discours et articles choisis, Moscou 1948, pp. 65-66. 4. Ibid., p. 66. Biblioteca Gino Bianco L'EXPÉRIENCE COMMUNISTE moins, les juges devaient à présent être « élus » parmi des candidats désignés par l'appareil du Parti. On en revint ainsi petit à petit à un système judiciaire organisé selon les normes occidentales, avec, au sommet, une Cour ,.. supreme. En mai 1.922, la « procurature » fut instituée comme organe d'Etat doté des caractéristiques suivantes: · 1. C'était un instrument du pouvoir central, contrairement aux tribunaux, considérés comme des agences « locales »; 2. Sa fonction était de veiller à l'interprétation uniforme des principes de la légalité révolutionnaire et à la conformité avec les lois édictées pour l'Etat tout entier; 3. Il était très centralisé et soustrait aux influences locales et personnelles 5 • Ainsi les expériences initiales destinées à « socialiser » le système judiciaire firent fias~o, ce qui eut pour conséquence nécessaire un changement d'attitucfe envers le barreau. En même temps qu'était instituée la procurature, une « loi concernant le barreau » fut promulguée en mai 1922, qui prévoyait une structure et un fonctionnement rappelant le vieux barreau tsariste. Le personnel du nouveau barreau se composait pour la plupart des anciens « avocats assermentés » qui, désormais, était considérés comme membres d'une profession libérale. Ils étaient groupés dans leurs propres organisations professionnelles autonomes (les collèges d'avocats) dirigées par des présidiums élus qui, entre autres fonctions, exerçaient l'autorité disciplinaire et procédaient à l'admission des candidats au barreau. · Les collèges étaient soumis à une certaine surveillance par les comités exécutifs de province, habilités à passer outre en cas de conflit avec les membres du collège et qui, de plus, tranchaient en appel en cas de plainte contre les décisions des présidiums. De 1922 à 1924, les collèges restèrent entièrement indépendants des tribunaux, mais en 1924 la fonction d'appel des comités exécutifs fut transférée aux tribunaux provinciaux. Les membres des collèges se livraient à ce qui était à !'.origine une pratique « individuelle » (c'est-à-dire privée) dans leurs propres cabinets, tout en bénêficiant d'une certaine aide officielle (par exemple, sous forme d'abattements d'impôts et d'attribution de locaux destinés à des bureaux). Leurs hQporaires étaient fixés par des barèmes établis par les présidiums de collège et approuvés par les tribunaux provinciaux 6 • 5. Quarante ans de droit soviétique, Léningrad 1957, voJ. I, p. S84. 6. D. S. Karev : Le Svst~me Judiciaire soviêtlque, Moscou 19S1, pp. 162-63.
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